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Un mois plus tard, Gilbert, dont la peine avait été commuée en celle des travaux forcés à perpétuité, s’évadait de l’île de Ré, la veille même du jour où on devait l’embarquer pour la Guyane.

Étrange évasion, dont les moindres détails demeurent inexplicables et qui, autant que le coup de fusil du boulevard Arago, contribua au prestige d’Arsène Lupin.

— Somme toute, me dit Lupin, après m’avoir raconté les diverses phases de l’histoire, somme toute, aucune entreprise ne m’a donné plus de mal, ne m’a coûté plus d’efforts, que cette sacrée aventure, que nous appellerons, si vous voulez bien : « Le Bouchon de cristal, ou comme quoi il ne faut jamais perdre courage. » En douze heures, de six heures du matin à six heures du soir, j’ai réparé six mois de malchances, d’erreurs, de tâtonnements et de défaites. Ces douze heures-là, je les compte certes parmi les plus belles et les plus glorieuses de ma vie !

— Et Gilbert, qu’est-il devenu ?

— Il cultive ses terres, au fond de l’Algérie, sous son vrai nom, sous son seul nom d’Antoine Mergy. Il a épousé une Anglaise, et ils ont un fils qu’il a voulu appeler Arsène. Je reçois souvent de lui de bonnes lettres enjouées et affectueuses. Tenez, encore une aujourd’hui. Lisez : « Patron, si vous saviez ce que c’est bon d’être un honnête homme, de se lever le matin avec une longue journée de travail devant soi, et de se coucher le soir harassé de fatigue. Mais vous le savez, n’est-ce pas ? Arsène Lupin a sa manière d’être un honnête homme, manière un peu spéciale, pas très catholique. Mais, bah ! au jugement dernier, le livre de ses bonnes actions sera tellement rempli qu’on passera l’éponge sur le reste. Je vous aime bien, patron. » Le brave enfant, ajouta Lupin, tout pensif.

— Et Mme Mergy ?

— Elle demeure avec son fils, ainsi que son petit Jacques.

— Vous l’avez revue ?

— Je ne l’ai pas revue.

— Tiens !