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Depuis bientôt huit jours que vous m’entourez de votre surveillance assidue, je me disais : « Voyons… qu’est ce qu’elle préfère ? Le champagne doux ? Le champagne sec ? L’extra-dry ? Vraiment, j’étais perplexe. Depuis notre départ de Paris, surtout. J’avais perdu votre trace, c’est-à-dire que je craignais bien que vous n’eussiez perdu la mienne et renoncé à cette poursuite qui m’était si agréable. Vos jolis yeux noirs, si brillants de haine, sous vos cheveux un peu gris, me manquaient dans mes promenades. Mais, ce matin, j’ai compris : la chambre contiguë à celle-ci était enfin libre, et mon amie Clarisse avait pu s’installer, comment dirais-je ?… à mon chevet. Dès lors, j’étais tranquille. En rentrant ici, au lieu de déjeuner au restaurant selon mon habitude, je comptais bien vous trouver en train de ranger mes petites affaires à votre guise, et suivant vos goûts particuliers. D’où ma commande de deux couverts… un pour votre serviteur, l’autre pour sa belle amie.

Elle l’écoutait maintenant, et avec quelle terreur ! Ainsi donc Daubrecq se savait espionné ! Ainsi donc, depuis huit jours, il se jouait d’elle et de toutes ses manœuvres !

À voix basse, le regard anxieux, elle lui dit :

— C’est exprès, n’est-ce pas ? vous n’êtes parti que pour m’entraîner ?

— Oui, fit-il.

— Mais pourquoi, pourquoi ?

— Vous le demandez, chère amie ? dit Daubrecq avec son petit gloussement de joie.

Elle se leva de sa chaise à moitié et, penchée vers lui, elle pensa, comme elle y pensait chaque fois, au meurtre qu’elle pouvait commettre, qu’elle allait commettre. Un coup de revolver, et la bête odieuse serait abattue.