Page:Leblanc - Le Bouchon de cristal, paru dans Le Journal, 25-09 au 09-11-1912.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’échelle et qui trouve le patron évanoui.

— Et vrai ! explique Le Ballu, je me demande encore comment il n’a pas roulé. Il y avait bien un creux à cet endroit, mais un creux en pente, et il fallait que, même à moitié mort, il s’accroche de ses dix doigts. Nom d’un chien, il était temps !

Lupin écoute, écoute désespérément. Il rassemble ses forces pour recueillir et comprendre les mots. Mais soudain une phrase terrible est prononcée : Clarisse, en pleurant, parle des dix-huit jours qui viennent de s’écouler, dix-huit jours nouveaux perdus pour le salut de Gilbert.

Dix-huit jours ! Ce chiffre épouvante Lupin. Il pense que tout est fini, que jamais il ne pourra se rétablir et continuer la lutte, et que Gilbert et Vaucheray mourront… Son cerveau lui échappe. C’est encore la fièvre, encore le délire.

Et d’autres jours vinrent. Peut-être est-ce l’époque de sa vie dont Lupin parle avec le plus d’effroi. Il gardait suffisamment de conscience, et il avait des minutes assez lucides pour se rendre un compte exact de la situation. Mais il ne pouvait coordonner ses idées, suivre un raisonnement, et indiquer à ses amis, ou leur défendre, telle ligne de conduite.

Quand il sortait de sa torpeur, il se trouvait souvent la main dans la main de Clarisse, et, en cet état de demi-sommeil où la fièvre vous maintient, il lui jetait des paroles étranges, des paroles de tendresse et de passion, l’implorant et la remerciant, et la bénissant de tout ce qu’elle apportait, dans les ténèbres, de lumière et de joie.

Puis, plus calme, et sans bien comprendre ce qu’il avait dit, il s’efforçait de plaisanter :

— J’ai eu le délire, n’est-ce pas ? Ce que j’ai dû raconter de bêtises !