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fille, mais, cette faute, il devait à Suzanne de la tenir secrète, quelles que fussent les conséquences de sa discrétion. Il n’y avait pas d’excuse au monde qui lui permît de rompre le silence.

La lecture des journaux qu’il trouva sur la table du salon (on recevait au Vieux-Moulin l’Éclaireur des Vosges, un journal de Paris, publié la veille au soir, et la Gazette de Bœrsweilen, feuille imprimée en allemand, mais d’inspiration française), cette lecture acheva de le rassurer. Dans la cohue des premières nouvelles consacrées à l’affaire Jorancé, son rôle, à lui, passait à peu près inaperçu. En deux lignes, l’Éclaireur des Vosges résumait sa déposition. Somme toute, il n’était et ne serait qu’un comparse.

— Un figurant, tout au plus, murmura-t-il avec satisfaction.

— Oui, tout au plus. C’est ton père et M. Jorancé qui tiennent l’affiche.

Marthe était entrée et, surprenant ses dernières paroles qu’il avait prononcées à haute voix, elle y répondait en riant.

Elle lui entoura le cou du même geste affectueux dont elle avait l’habitude et lui dit :

— Mais oui, Philippe, tu n’as pas à te tourmenter. Ton témoignage n’a aucune importance et ne peut influer en aucune façon sur les événements. Sois-en bien certain.

Leurs visages étaient tout près l’un de l’autre, et, dans les yeux de Marthe, Philippe ne perçut que de la gaieté et de la tendresse.

Il comprit qu’elle avait attribué à des scrupules de conscience et à des appréhensions mal définies sa conduite de la veille, sa fausse version du début, ses réticences et son trouble. Inquiet sur les suites de l’affaire et redoutant que son témoignage ne la compliquât, il avait essayé de se soustraire aux ennuis d’une déposition.

— Je crois que tu as raison, dit-il afin de la confirmer dans son erreur. Et, du reste, l’affaire est-elle si grave ?