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d’Arzance ? Et je trottais… Je trottais jusqu’à extinction… À huit heures, je franchissais la ligne… Ni vu ni connu ! Morestal foulait le sol de ses pères ! À dix heures, du haut de la Côte-Blanche, j’apercevais le clocher de Saint-Élophe, et je coupais droit pour revenir ici plus vite. Et me voilà ! un peu fourbu, je vous l’accorde, pas très présentable… Mais, tout de même, hein, qu’en dites-vous, du vieux Morestal ?

Il s’était levé et, sans plus se souvenir des fatigues de la nuit, il animait son discours de toute une mimique virulente qui désolait sa femme.

— Et mon pauvre père n’a pu s’échapper ? demanda Suzanne.

— Lui, on avait eu soin de le fouiller, répondit Morestal. D’ailleurs, on le surveillait de plus près que moi… de sorte que ce qu’il n’a pu faire, je l’ai fait…

Et il ajouta :

— Heureusement ! car moi, j’aurais pourri sur la paille de leurs cachots jusqu’à la fin d’un procès interminable ; tandis que lui, d’ici quarante-huit heures… Mais tout cela, c’est du bavardage. Ces messieurs du Parquet ne doivent pas être loin. Je veux que mon rapport soit prêt… Il y a certaines choses que je soupçonne… toute une manigance…

Il s’interrompit, comme heurté par une idée imprévue, et il resta longtemps immobile, la tête entre ses mains. Puis, brusquement, il frappa la table.

— Ça y est ! Je comprends tout ! Eh bien, vrai, j’y ai mis le temps !

— Quoi ? lui dit sa femme.

— Dourlowski, parbleu !

— Dourlowski ?

— Eh oui ! Dès la première minute, j’ai deviné que c’était un piège, un piège d’agents subalternes. Mais comment l’avait-on dressé ? Maintenant, je vois clair. Dourlowski est venu ici hier matin, sous un prétexte quelconque. Il a su que Jorancé et moi nous suivrions, dans la soirée, le