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effet, au petit jour, alors qu’il revenait de Saint-Élophe, il continua :

— Jean Baufeld n’avait plus que quelques minutes à vivre. Il râlait. Cependant, il eut encore la force de me dire son nom et d’articuler quelques mots, et il mourut entre mes bras. Mais je savais par lui que M. Jorancé et mon père avaient essayé de le défendre sur le territoire français, et que les agents s’étaient retournés contre eux. Je me mis donc à leur recherche. La trace était facile à suivre. Elle me conduisit par le col du Diable jusqu’au hameau de Torins. Là, l’aubergiste ne fit aucune difficulté pour m’apprendre qu’une escouade d’agents, dont plusieurs à cheval, avait passé chez lui, emmenant vers Bœrsweilen deux prisonniers français. L’un d’eux était blessé. Je ne pus savoir si c’était votre père, Suzanne, ou le mien. En tout cas, les blessures devaient être légères, car les deux prisonniers se tenaient à cheval sans l’aide de personne. Rassuré, je revins sur mes pas. Au col du Diable, je rencontrai Victor… Vous savez le reste.

Il semblait tout heureux d’en avoir fini, et il se versa une seconde tasse de café, avec la satisfaction d’un homme qui s’est tiré d’affaire à bon compte.

Les trois femmes gardaient le silence. Suzanne baissait la tête pour qu’on ne vît point son émotion. Enfin, Marthe, qui n’avait aucun soupçon, mais que le mensonge de Philippe préoccupait, Marthe reprit :

— À quelle heure es-tu rentré hier soir ?

— À onze heures moins le quart.

— Et tu t’es couché tout de suite ?

— Tout de suite.

— Alors comment se fait-il que ton lit ne soit pas défait ?

Philippe eut un haut-le-corps. La question le suffoquait. Au lieu d’imaginer un prétexte quelconque, il balbutia ingénument :

— Ah ! tu es entrée… tu as vu…

Il n’avait point réfléchi à ce détail, ni d’ailleurs à aucun de ceux qui pouvaient le