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soumises elles-mêmes à un sentiment qui dominait toute sa vie et réglait tous ses actes, l’amour du pays. Sentiment qui, chez Morestal, signifiait le regret du passé, la haine du présent, et surtout l’âpre souvenir de la défaite.

Devenu maire de Saint-Élophe, puis conseiller d’arrondissement, il avait vendu son usine et s’était fait construire, en vue de la frontière et sur l’emplacement d’un moulin en ruines, une maison spacieuse, dessinée selon ses plans, et bâtie, pour ainsi dire, en sa présence. Ils y vivaient depuis une dizaine d’années, avec deux domestiques, Victor, brave homme tout rond, à face réjouie, et Catherine, servante bretonne qui avait nourri Philippe.

Ils voyaient peu de monde en dehors de quelques amis, dont les plus assidus étaient le commissaire spécial du gouvernement, Jorancé, et sa fille Suzanne.

Le Vieux-Moulin occupait le sommet arrondi d’une colline aux pentes de laquelle s’étageaient d’assez vastes jardins que Morestal cultivait avec une véritable passion. Un haut mur, garni sur le faîte d’un treillis de fer hérissé de pointes, entourait la propriété. Une source jaillissait de place en place et retombait en cascades au creux de rochers que décoraient des plantes sauvages, de la mousse et des capillaires.

Morestal cueillit une moisson de fleurs, dévasta sa roseraie, immola toutes les Gloires de Dijon dont il était si fier, et revint au salon où il disposa lui-même les bouquets dans de grands vases de cristal.

La pièce, sorte de hall situé au centre de la maison, avec des poutres de bois apparentes et une énorme cheminée où luisaient des cuivres, la pièce était claire et joyeuse, ouverte sur les deux façades ; à l’est, sur la terrasse, par une longue baie ; à l’occident, par deux fenêtres, sur le jardin qu’elle dominait de la hauteur d’un premier étage.

Au mur s’étalaient des cartes d’état-major, des cartes du ministère de l’Intérieur, des cartes de cantons. Il y avait un râte-