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résolution. Le domestique sortit en disant qu’il sellait le cheval et galopait jusqu’au col du Diable.

Au hasard, Marthe, qui était restée près du téléphone, demanda des renseignements à la mairie de Saint-Élophe. Là, on ne savait rien. Mais deux gendarmes venaient de traverser la place à grande allure. Alors, sur le conseil de Mme Morestal, qui saisit un des récepteurs, elle réclama la communication avec la gendarmerie. L’ayant obtenue, elle expliqua sa démarche. Il lui fut répondu que le brigadier était en route pour la frontière, conduit par un paysan qui déclarait avoir trouvé dans les bois, entre la Butte-aux-Loups et le col du Diable, le cadavre d’un homme. On n’en pouvait dire davantage…

Mme Morestal lâcha le récepteur et tomba évanouie. Marthe et Suzanne voulurent la soigner. Mais leurs mains tremblaient. Catherine, la bonne, étant survenue, elles se sauvèrent toutes les deux, secouées par une énergie subite et par un immense besoin d’agir, de marcher, de contempler ce cadavre, dont la vision sanglante les obsédait.

Elles descendirent l’escalier de la terrasse et coururent dans la direction de l’Étang-des-Moines.

Elles n’avaient pas fait cent pas qu’elles furent dépassées par Victor, qui galopait à cheval et qui leur cria :

— Rentrez donc ! À quoi qu’ça sert, puisque je r’viens !

Elles continuèrent cependant. Mais deux chemins s’étant présentés, Suzanne voulut prendre celui du col, à droite, Marthe, celui de gauche, à travers les bois. Elles échangèrent des mots âpres, se barrant la route l’une à l’autre.

Tout à coup, Suzanne, qui n’avait pas conscience de ce qu’elle disait, se jeta dans les bras de son amie, en bégayant :

— Il faut que je te dise… c’est mon devoir… D’ailleurs toute la faute est pour moi…

Exaspérée, et ne comprenant pas ces paroles, dont elle devait se souvenir plus