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des yeux, comme si elle épiait sur son visage une trace d’inquiétude, ou qu’elle voulût pénétrer jusqu’au fond de sa pensée la plus secrète.

Elle murmura :

— Et s’il te trompait ?

Cette fois, la pointe porta. Marthe tressaillit, touchée au vif. Sa figure changea. Et elle dit, d’une voix qui se contenait :

— Ah ! cela non ! Que Philippe s’éprenne d’une autre femme, qu’il veuille refaire sa vie sans moi, et qu’il me l’avoue loyalement, je consentirais à tout… oui, à tout, même au divorce, quel que soit mon désespoir… Mais la trahison, le mensonge…

— Tu ne lui pardonnerais pas ?

— Jamais ! Philippe n’est pas un homme à qui l’on peut pardonner. C’est un homme conscient, qui sait ce qu’il fait, incapable d’une défaillance et que le pardon n’absoudrait pas. D’ailleurs, moi, je ne pourrais pas… non… en vérité, non.

Et elle ajouta :

— J’ai trop d’orgueil.

La parole fut grave, prononcée simplement, et révélait une âme hautaine que Suzanne ne soupçonnait pas. Devant la rivale qu’elle attaquait, et qui la dominait par tant de fierté, elle éprouva une sorte de confusion.

Un long silence divisa les deux femmes, et Marthe prononça :

— Tu es méchante, aujourd’hui, n’est-ce pas, Suzanne ?

— Je suis trop heureuse pour être méchante, ricana la jeune fille. Seulement, c’est un bonheur si étrange ! J’ai peur qu’il ne dure pas.

— Ton mariage…

— Je ne veux pas me marier ! déclara Suzanne avec emportement… Je ne le veux à aucun prix J’ai horreur de cet homme… Il n’y a pas que lui au monde, n’est-ce pas ? Il y en a d’autres… d’autres qui m’aimeront… Moi aussi, je suis digne que l’on m’aime… et que l’on m’offre sa vie !…

Il y avait des larmes dans sa voix, et un