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« du matin », lui… Et Philippe qui voulait vagabonder à l’aube ! Enfin, tant mieux, le sommeil leur fait du bien, à mes deux hommes. À propos, Marthe, vous n’avez pas été réveillée par les coups de feu, cette nuit ?

— Des coups de feu !

— Il est vrai que votre chambre est à l’opposé. C’était du côté de la frontière… Quelque braconnier, sans doute…

M. Morestal et Philippe étaient ici ?

— Oh ! sûrement. Il devait être une heure ou deux… peut-être davantage… Je ne sais pas au juste.

Elle reposa sur le plateau la théière et le pot de miel qui avaient servi au déjeuner de Marthe, et, par manie d’arrangement, elle mit en ordre, avec de mystérieux principes de symétrie, les affaires de sa belle-fille et les objets de la chambre que l’on avait pu déplacer. Tout bien fini, les mains immobiles, elle chercha des yeux un motif qui l’autorisât à rompre cette cruelle inaction. N’en découvrant aucun, elle sortit.


— Comme tu es matinale, dit Marthe à Suzanne.

— J’avais besoin d’air… de mouvement… D’ailleurs, j’avais averti Philippe que je viendrais le chercher. J’aimerais voir avec lui les ruines de la Petite-Chartreuse… C’est ennuyeux qu’il ne soit pas encore levé.

Elle semblait déçue de ce contretemps qui la privait d’un plaisir.

— Tu permets que je finisse mes lettres ? lui dit Marthe en reprenant sa plume.

Suzanne flâna dans la pièce, regarda par la fenêtre, se pencha pour voir si celle de Philippe était ouverte, puis s’assit en face de Marthe et l’examina longuement. Elle nota les paupières un peu fripées, le teint inégal, les menues rides des tempes, quelques cheveux blancs mêlés aux bandeaux noirs, tout ce qui annonce les petites victoires du temps sur la jeunesse défaillante. Et, levant les yeux, elle se vit dans une glace.

Marthe surprit son regard et s’écria avec