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— En effet… en effet… dit Morestal. Pourtant ce cri de chouette…

Il y eut une petite côte, puis ils débouchèrent sur un plateau plus élevé que d’énormes sapins entouraient d’un rempart. C’était la Butte-aux-Loups. Le chemin la coupait en deux, et les poteaux de chaque pays s’y dressaient l’un en face de l’autre.

Jorancé constata que le poteau allemand avait été remis debout, mais de façon provisoire, à l’aide de grosses pierres qui en maintenaient la base.

— Un coup de vent et ça croulerait encore, dit-il en l’ébranlant.

— Eh ! ricana Morestal, attention ! vois-tu que tu l’abattes et que des gendarmes nous sautent dessus ?… En retraite, l’ami.

Mais il n’avait pas achevé ces mots qu’un autre cri parvint jusqu’à eux.

— Ah ! cette fois, dit Morestal, tu avoueras…

— Oui… oui… déclara Jorancé… la plainte de la chouette est plus sourde… plus lente… On croirait vraiment un signal, à cent ou deux cents pas en avant de nous… Des contrebandiers, évidemment, de France ou d’Allemagne.

— Si nous rebroussions chemin ? dit Morestal. Tu ne crains pas d’être mêlé à une affaire ?…

— Pourquoi ? c’est une question de douane qui ne nous regarde pas. Qu’ils se débrouillent…

Ils écoutèrent un moment, puis repartirent, soucieux et l’oreille attentive.

Après la Butte-aux-Loups, la crête de la montagne s’aplatit, la forêt s’étale, plus à l’aise, et la route, plus libre, serpente entre les arbres, court d’un versant à l’autre, évite les racines, contourne les aspérités du terrain, et disparaît parfois sous un lit de feuilles mortes.

Mais la lune s’était dégagée et Morestal marchait droit devant lui, sans hésitation. Il la connaissait si bien, la frontière ! Il l’eût suivie les yeux fermés, dans les ténèbres des nuits les plus obscures. À tel endroit, il y avait une branche qui barrait