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marquait la frontière jusqu’au col du Diable.

À leur gauche, c’était le versant allemand, plus abrupt.

— Oui, reprit Jorancé, la chose est résolue. Évidemment Suzanne aurait pu rencontrer un homme plus jeune… plus avenant… mais aucun qui soit plus honnête et plus sérieux… Sans compter qu’il a un caractère très ferme, et, avec Suzanne, une certaine fermeté est nécessaire. Et puis…

— Et puis ? dit Morestal qui devinait son hésitation.

— Eh bien, voyez-vous, Morestal, il faut que Suzanne se marie. Elle tient de moi une nature droite, des principes rigoureux… mais elle n’est pas seulement ma fille… et parfois, j’ai peur de retrouver en elle… de mauvais instincts…

— Est-ce que tu aurais découvert ?…

— Oh ! rien, et je suis sûr de ne pas me tromper. Mais c’est l’avenir qui m’effraie. Un jour ou l’autre, elle peut connaître la tentation… on peut lui faire la cour… l’étourdir de belles paroles. Saura-t-elle résister ? Oh ! Morestal, cette idée me rend fou. Je n’aurais pas la force… Pensez donc, la fille après la mère… Ah ! je crois… je crois que je la tuerais…

Morestal plaisanta :

— En voilà des histoires ! Une brave fille comme Suzanne…

— Oui, vous avez raison, c’est absurde. Que voulez-vous, je ne peux pas oublier… Et je ne veux pas non plus. Mon devoir est de penser à tout, et de lui donner un guide, un maître qui la conseillera… Je connais Suzanne, ce sera une épouse parfaite…

— Et elle aura beaucoup d’enfants, et ils seront très heureux, acheva Morestal… Allons, tu nous embêtes avec tes imaginations… Parlons d’autre chose. À propos…

Il attendit Jorancé. Tous deux marchèrent de front. Et Morestal, que nulle conversation n’intéressait en dehors de ses préoccupations personnelles, Morestal reprit :

— À propos, pourrais-tu me dire — si