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Ta mère et Marthe doivent dormir. N’importe, activons…

— Écoutez, père, si cela vous est égal, je préfère prendre le chemin le plus direct… Le sentier de la Butte-aux-Loups rallonge, et je suis un peu fatigué.

Au fond, comme Suzanne, Philippe voulait rentrer seul, pour que rien ne troublât le charme mélancolique de sa rêverie. Les discours du vieux Morestal l’effrayaient.

— À ta guise, mon garçon, s’écria celui-ci, mais surtout ne mets pas le verrou ni la chaîne à la porte du vestibule.

Jorancé fit les mêmes recommandations à Suzanne, et tous deux s’éloignèrent.

— Adieu, Philippe, répéta la jeune fille.

Il s’était déjà engagé sur le sentier de droite.

— Adieu, Suzanne, dit-il.

— Votre main, Philippe.

Pour que sa main atteignît celle de Suzanne, il lui fallait retourner de deux ou trois pas en arrière. Il hésita. Mais elle s’était avancée, et, très doucement, elle l’attirait au bas du sentier.

— Philippe, nous ne devons pas nous quitter ainsi… C’est trop triste ! Revenons ensemble jusqu’à Saint-Élophe… jusqu’à la maison… je vous en prie…

— Non, fit-il brusquement.

— Ah ! gémit-elle, je demandais cela pour rester plus longtemps avec vous… C’est si triste ! Mais vous avez raison. Séparons-nous.

Il lui dit avec plus de douceur :

— Suzanne… Suzanne chérie…

La tête un peu inclinée, elle lui tendit le front.

— Embrassez-moi, Philippe.

Il se pencha et voulut baiser les boucles de ses cheveux. Mais elle eut un mouvement rapide, et lui enlaça le cou de ses deux bras.