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les premiers pas, Morestal se hâta de commenter sa rencontre avec le capitaine Daspry. Un homme très intelligent, ce capitaine, et qui avait fort bien saisi l’importance du Vieux-Moulin comme « blockhaus », selon son expression, mais qui, à un autre point de vue, avait quelque peu choqué les opinions de Morestal sur le rôle de l’officier français vis-à-vis de ses inférieurs.

— Imagine-toi, Philippe, qu’il se refuse à punir les soldats que je lui ai signalés… tu sais, les pillards dont Saboureux se plaignait ?… Eh bien, il se refuse à les punir… même le chef de la bande, un nommé Duvauchel, un sans-patrie, dit-on, qui se fait gloire de ses idées. Comprends-tu cela ? le chenapan s’en tire avec une amende de dix francs, des excuses, la promesse de ne pas récidiver et un sermon de son capitaine ! Et Mossieu Daspry prétend que, par la douceur et la patience, il arrive à faire, de Duvauchel et de ses semblables, les meilleurs de ses soldats ! La bonne blague ! Comme si on mâtait ces bougres-là autrement que par la discipline Un tas de vauriens qui passeraient la frontière au premier coup de feu.

Instinctivement, Philippe avait ralenti le pas. Suzanne marchait auprès de lui, et, de place en place, à la clarté d’une lampe électrique, il apercevait l’auréole de ses cheveux blonds et sa belle silhouette que drapait l’écharpe de soie.

Il se sentait plein de mansuétude envers elle, maintenant qu’il ne la craignait plus, et il fut tenté de lui dire de bonnes paroles, ainsi qu’à une petite sœur que l’on chérit. Mais le silence était plus doux encore, et il ne voulut pas en rompre le charme.

On dépassa les dernières maisons. La rue se continua en route blanche, bordée de hauts peupliers. Et ils entendaient par bribes les discours de Morestal.

— Ah ! capitaine Daspry, l’indulgence, les relations cordiales entre supérieurs et inférieurs, la caserne considérée comme une école de fraternité, et les chefs comme des éducateurs, c’est très joli, tout cela,