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fille, Suzanne jeune fille, et c’était elle chaque fois plus séduisante.

Au bas d’une page, il lut : « Suzanne, vingt ans. »

— Dieu ! que vous étiez jolie, murmura-t-il, ébloui par cette image de beauté et de joie.

Et malgré lui, il regarda Suzanne.

— J’ai vieilli, dit-elle… trois longues années…

Il haussa les épaules sans répondre, car il la trouvait plus belle au contraire, et il tourna la page. Deux photographies tombèrent, qui n’étaient pas fixées à l’album. Elle avança la main pour les reprendre, mais n’acheva pas son mouvement.

— Vous permettez ? demanda Philippe.

— Oui… oui…

Il fut très étonné, en examinant l’un des portraits.

— Là-dessus, dit-il, vous êtes plus âgée que vous ne l’êtes… Comme c’est bizarre ! Et pourquoi cette robe démodée ?… Cette coiffure d’autrefois ?… C’est vous… et ce n’est pas vous… Qui est-ce ?

— Maman, dit-elle.

Il fut assez surpris que Jorancé, dont il n’ignorait point la rancune persistante, eût donné à sa fille le portrait d’une mère qu’elle croyait morte depuis longtemps. Et il se rappela les aventures tumultueuses de l’épouse divorcée, aujourd’hui la belle Madame de Glaris, que les échos de la chronique galante célébraient pour ses toilettes et ses bijoux, et dont les passants pouvaient admirer la photographie aux vitrines de la rue de Rivoli.

— En effet, dit-il avec embarras, et sans trop savoir ce qu’il disait, en effet, vous lui ressemblez… Et celle-ci, c’est également…

Il réprima un geste de stupeur. Cette fois, il avait bien reconnu la mère de Suzanne, ou plutôt la Mme de Glaris de la rue de Rivoli, les épaules nues, parée de ses diamants et de ses perles, insolente et magnifique.