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tal ?… Si vous le connaissiez ! un brave soldat qui ne demande qu’à se faire tuer pour notre pays.

Le vieillard sursauta :

Notre pays ! je te défends de parler de la sorte. Sait-on seulement d’où tu es ? Un chenapan comme toi n’a pas de pays.

— Vous oubliez tout ce que j’ai fait, Monsieur Morestal… À nous deux, on en a fait passer déjà quatre.

— Tais-toi ! dit Morestal, à qui ce souvenir semblait désagréable… tais-toi… Si c’était à recommencer…

— Vous recommenceriez, parce que vous êtes bon et qu’il y a des choses… Tenez… C’est comme ce garçon-là… Ça vous fendrait le cœur si vous le voyiez !… Jean Baufeld qu’il se nomme… Son père vient de mourir… et il veut rejoindre sa mère qui habite l’Algérie et qui était divorcée… Un gentil garçon, courageux…

— Eh quoi ! dit Morestal, il n’a qu’à passer' ! Pas besoin de moi pour ça.

— Et l’argent ! Il n’a pas le sou. Et puis il n’y en a pas comme vous pour connaître tous les sentiers, les bons passages, l’heure qu’il faut choisir.

— On verra… on verra, dit Morestal… rien ne presse…

— Si…

— Pourquoi ?

— Le régiment de Bœrsweilen manœuvre sur le flanc des Vosges. Si vous nous donnez un coup de main, je cours d’abord à Saint-Élophe où j’achète la défroque d’un paysan français, et je vais retrouver mon homme. Cette nuit, je l’amène dans l’ancienne grange de votre petite ferme… comme les autres fois…

— Où est-il en ce moment ?

— Sa compagnie cantonne en pleins bois d’Albern.

— Mais c’est à côté de la frontière, s’écria Morestal. Une heure de marche, au plus.

— Justement, mais comment gagner la frontière ? À quel point la traverser ?