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vieux Morestal que son ami Dourlowski est venu le relancer à domicile.

Avec deux de ses doigts, qu’il introduisit dans sa bouche, il répéta la même modulation légère que Morestal avait perçue le matin. On eût dit le sifflement inachevé de certains oiseaux.

— Ça y est, ricana-t-il ; le vieux a dressé l’oreille. Il envoie les autres faire le tour du jardin, et il s’amène…

Il eut un geste de recul en discernant le pas de Morestal dans le vestibule, car il savait que le bonhomme ne plaisantait point. Et, de fait, Morestal, à peine entré, courut vers lui et l’empoigna par le collet de son veston.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? Comment oses-tu ?… Je vais t’apprendre un chemin que tu ne connais pas !…

Dourlowski se mit à rire de toute sa bouche oblique :

— Mon bon monsieur Morestal, vous allez vous salir les mains.

Il avait des habits luisants, épais de crasse, tendus sur un petit corps en boule qui contrastait avec son visage osseux d’homme maigre. Et tout cela formait un ensemble joyeux, cocasse et inquiétant.

Morestal le relâcha, et, d’un ton impérieux :

— Explique-toi, et rapidement. Je ne veux pas que mon fils te voie ici. Parle.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Dourlowski s’en rendit compte.

— Eh bien ! voilà, il s’agit d’un jeune soldat de la garnison de Bœrsweilen. Il est trop malheureux là-bas… et ça l’enrage de servir l’Allemagne…

— Un fainéant, grogna Morestal, un lâche qui rechigne à l’ouvrage.

— Non, pas celui-là, que je vous dis, pas celui-là. C’est pour prendre du service dans la Légion. Il aime la France.

— Oui, toujours la même histoire. Et puis après, bernique ! on n’entend plus causer d’eux. Encore de la graine à malfaiteur.

Dourlowski parut scandalisé.

— Pouvez-vous dire, monsieur Mores-