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— C’était hier, dit-il à voix basse, hier, pas plus tard qu’hier…

— Tiens, voilà le facteur, dit-elle, se hâtant de changer la conversation.

On entendait en effet un pas lourd du côté des fenêtres qui donnaient sur le jardin. Le marteau de la porte, au rez-de-chaussée, retentit. Un instant après, Victor, le domestique, apportait le courrier.

— Ah ! dit Mme Morestal, une lettre du fils… Ouvre-la donc, je n’ai pas mes lunettes… Sans doute, il nous confirme son arrivée pour ce soir, puisqu’il devait quitter Paris ce matin.

— Pas du tout ! s’écria M. Morestal, qui parcourait la lettre. Philippe et sa femme ont conduit leurs deux fils chez des amis à Versailles, et ils sont partis avec l’intention de coucher le soir au ballon de Colnard, d’assister au lever du soleil, et de faire la route à pied, le sac au dos. À midi, ils seront ici.

Elle s’affola.

— Et l’orage ! L’orage de cette nuit ?

— Mon fils s’en moque de l’orage. C’est un gaillard qui en a vu bien d’autres. Il est onze heures. Dans une heure nous l’embrasserons.

— Mais c’est impossible ! Rien n’est prêt pour les recevoir.

Elle se mit à l’œuvre sur-le-champ avec toute son activité de petite vieille, un peu trop grosse, un peu lasse, mais alerte encore, et si méthodique, si ordonnée, qu’elle ne risquait pas un mouvement qui ne fût indispensable et ne lui apportât un avantage immédiat.

Lui, il reprit sa promenade entre la terrasse et le salon. Il marchait à grands pas égaux, le buste droit, les mains dans les poches de son veston, un veston de jardinier en coutil bleu, d’où l’on voyait émerger la pointe d’un sécateur et le tuyau d’une pipe. Il était haut de taille, épais d’encolure, et son visage, au teint coloré, semblait jeune encore, malgré le collier de barbe blanc qui l’encadrait.

— Ah ! s’écria-t-il, ce bon Philippe, quelle joie ! Il y a trois ans déjà qu’on ne s’est