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tivement, il regarda si l’on pouvait enjamber le balcon et sauter. C’eût été absurde.

Mais comme il se penchait, il aperçut, deux fenêtres plus loin, sa femme qui était accoudée, et qui l’avisa. Il dut sourire pour masquer son trouble, et rien ne pouvait lui être plus odieux que cette comédie à laquelle le contraignaient les caprices d’une enfant.

— Tu es tout pâle, dit Marthe.

— Tu crois ? Un peu de fatigue sans doute. Toi, de même, tu parais…

Elle reprit :

— Il me semblait que j’avais vu ton père.

— Il serait déjà revenu ?

— Mais oui, tiens, là-bas, au bout du jardin, avec M. Jorancé. Ils te font signe.

En effet, Morestal et son ami montaient le long de la cascade, tout en gesticulant pour attirer l’attention de Philippe. Et quand il fut sous les fenêtres, Morestal cria :

— Voici ce qui est décidé, Philippe. Nous dînons tous deux chez Jorancé.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais, on t’expliquera pourquoi. Je fais atteler la voiture, et Jorancé part en avant avec Suzanne.

— Et Marthe ? demanda Philippe.

— Marthe viendra si ça lui plaît. Descends. Nous allons combiner cela.


Lorsque Philippe se retourna, Suzanne était contre lui.

— Vous acceptez, n’est-ce pas ? dit-elle vivement.

— Oui, si Marthe vient.

— Même si Marthe ne vient pas… je le veux… je le veux. Ah ! je vous en prie, Philippe, ne me poussez pas à bout.

Il eut peur d’un éclat.

— Au fait, dit-il, pourquoi refuserais-je ? Il est tout naturel que je dîne chez vous avec mon père.

— C’est vrai ? murmura-t-elle… vous voulez bien ?

Elle paraissait soudain calmée, et sa figure prit une expression de joie enfantine.

— Oh ! je suis heureuse… Comme je suis