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avance… C’est à peine s’il se cache… Tiens… Écoute-le… écoute-le…

Très loin, comme un bruit d’écho, assourdie par la masse des arbres, une sonnerie de clairon avait vibré, quelque part. Sonnerie indistincte… Mais Morestal ne s’y trompa point, et il dit à voix basse :

— Oh ! c’est lui !… c’est lui… Je reconnais la voix de l’Allemagne… Je la reconnais entre toutes… la voix rauque et détestée…

Après un moment, Philippe, qui ne le quittait pas des yeux, prononça :

— Et alors, père ?

— Et alors, mon fils, c’est en prévision de ce jour-là que j’ai bâti ma maison sur cette colline, que j’ai clos mes jardins d’un mur, qu’à l’insu de tous j’ai accumulé dans les communs les moyens de défense : des munitions, des sacs de sable, de la poudre… bref, que j’ai dressé, pour le cas d’une alerte, cette petite forteresse inconnue à vingt minutes du col du Diable… au seuil même de la frontière !

Il s’était planté face au levant, face à l’ennemi, et, les poings crispés aux hanches, en une attitude de défi, il semblait attendre l’inévitable assaut.

Le commissaire spécial, qui doutait encore que son zèle eût été pris en défaut dans cette affaire, bougonna :

— Votre bicoque ne tiendra pas une heure.

— Et qui te dit, s’écria Morestal avec véhémence, qui te dit que cette heure-là ne soit pas précisément l’heure même qu’il aurait fallu gagner ?… Une heure ! le mot est juste… une heure de résistance au premier choc ! une heure d’arrêt !… voilà ce que j’ai voulu, voilà ce que j’offre à mon pays. Que chacun fasse comme moi, dans la mesure de ses forces, que chacun soit hanté jusqu’à la fièvre par l’obsession du service individuel qu’il devra rendre à la patrie et, si la guerre éclate, vous verrez comment un grand peuple sait prendre sa revanche.

— Et si, malgré tout, nous sommes battus ? répéta Philippe.

— Quoi ?