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d’une veste, il avait la tête nue, les cheveux en désordre, un foulard noué autour du cou, et il chancelait, les jambes incertaines. Pourtant, une sorte d’allégresse, comme un sourire intérieur, illuminait son visage.

— Laisse-moi, dit-il à sa femme, qui cherchait à le soutenir.

Il assura sa marche et se dirigea vers le râtelier où les douze fusils étaient alignés.

Il en saisit un avec une hâte fébrile, le palpa d’un geste de chasseur qui reconnaît son arme favorite, passa devant Philippe sans paraître le voir, et s’avança jusqu’à la terrasse.

— Vous, monsieur Morestal ! fit le capitaine.

Le vieillard lui dit, en désignant la frontière :

— Ils sont là ?

— Oui.

— Vous résistez ?

— Oui.

— Ils sont nombreux ?

— Vingt contre un.

— Alors ?

— Il le faut.

— Cependant…

— Il le faut, monsieur Morestal, et soyez tranquille, nous tiendrons… j’en ai la certitude.

Morestal prononça, d’un ton plus sourd :

— Rappelez-vous ce que je vous ai dit, capitaine… La route est minée à trois cents pas de cette terrasse… Une allumette…

— Oh ! protesta l’officier. J’espère bien que nous n’en viendrons pas là. J’attends du secours.

— Soit ! reprit Morestal… Mais tout plutôt que de les laisser monter au Vieux-Moulin… Tant que le Vieux-Moulin sera libre, ils ne pourront pas s’établir sur les crêtes et menacer Saint-Élophe.

On voyait distinctement des colonnes de fantassins suivre le défilé du Diable. Là, elles se divisaient, une partie des hommes tournant vers la Butte-aux-Loups, les autres, en nombre plus considérable, car c’était évidemment l’objectif de l’ennemi, les autres descendant vers l’Étang-des-Moines pour s’emparer de la grand-route.