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nier, s’introduisant à son tour… Du moment qu’on peut tenir son fusil… Mais notre aîné qu’a seize ans, Henriot, crois-tu qu’on l’oubliera ?

— Ah ! celui-là, gronda la mère, je le cache, si on veut me le prendre !

— Et les gendarmes ?

Tout le monde gesticulait, s’apostrophait. Et Victor répéta :

— En attendant, il faut s’en aller. On fermera la maison et on partira. C’est le plus sage. On ne peut pas rester comme ça, à vingt pas de la frontière.

À ses yeux, la guerre représentait la fuite désordonnée des vieillards et des femmes, se sauvant par troupeaux et poussant des charrettes encombrées de meubles et de matelas. Et il frappa du pied, résolu à un déménagement immédiat.

Mais un vacarme s’éleva sur la terrasse. Un petit paysan se rua dans le salon.

— Il en a vu ! il en a vu !

Il précédait son maître, le fermier Saboureux, qui arriva en trombe, les yeux hors de la tête.

— J’en ai vu ! j’en ai vu ! Il y en avait cinq. J’en ai vu !

— Mais quoi ? dit Victor en le secouant. Qu’est-ce que t’as vu ?

— Des uhlans !

— Des uhlans ! T’es sûr ?

— Comme je te vois ! Il y en avait cinq à cheval ! Ah ! je les ai bien reconnus d’autrefois… des uhlans, que j’te dis… Ils vont tout brûler !

Au bruit qu’il faisait, Mme Morestal accourut.

— Taisez-vous donc ! Qu’est-ce que vous avez ?

— J’en ai vu, hurla Saboureux… des uhlans ! Ils sont partis chercher les autres.

— Des uhlans, murmura-t-elle avec effroi.

— Oui, comme dans le temps !

— Ah ! Seigneur Dieu… est-ce possible !…

— Je les ai vus, que j’vous dis… Prévenez M. le maire.

Elle s’indigna.

— Le prévenir ! mais il est malade… Tai-