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s’élança dans le salon, où Mme Morestal apparut.

— Où étiez-vous ? Je vous cherche. Le docteur n’est pas venu ? Ah ! c’est toi, Philippe ! Vite, téléphone au docteur.

— Est-ce que mon père ?…

— Ton père va mieux, mais, tout de même, il tarde trop à se réveiller… La morphine, peut-être… Téléphone donc.

Elle s’en alla. Philippe décrochait le récepteur, quand on lui frappa sur l’épaule. C’était Victor, dont l’agitation croissait de minute en minute, et qui l’interrogea d’un air perplexe.

— Qu’est-ce qu’il faut faire, monsieur Philippe ? Va-t-on rester ? Va-t-on partir ? Fermer la maison ? Madame ne se rend pas compte…

Et, sans attendre la réponse, il se retourna :

— N’est-ce pas, Catherine, madame ne se rend pas compte… Monsieur est tout à fait rétabli… Alors, qu’on se décide !

— Évidemment, dit la bonne… il faut tout prévoir… Et si l’ennemi nous envahit ?…

Ils marchaient tous les deux à travers le salon, ouvrant les portes, les refermant, faisant des signes par la fenêtre.

Une femme entra, une vieille femme qu’on employait au Vieux-Moulin comme laveuse. Elle agitait les bras.

— C’est-i vrai ? C’est-i vrai ? La guerre ? Et mon fils, le cadet, qu’est au service !… Et l’autre qu’est à la réserve… C’est-i vrai ? Non, n’est-ce pas ? des histoires qu’on raconte !

— Des histoires ! dit la femme du jardinier en survenant, vous verrez ça… Ils partiront tous… mon mari aussi, qu’est de la territoriale.

Un enfant de trois ou quatre ans la suivait, et dans ses bras elle en portait un autre, au maillot, qui pleurnichait.

— Pour sûr qu’ils partiront, fit Victor… Et moi donc ! vous verrez qu’on me rappellera, quoique j’aie passé l’âge !… Vous verrez !…

— Toi comme les autres, ricana le jardi-