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lippe, au nom de Philippe articulé par la jeune fille, elle bondit, étreignit Suzanne à la gorge et la renversa contre la table. Elle tressaillait de rage comme une bête qui tient enfin l’ennemi. Elle aurait voulu détruire ce corps qu’un autre avait pressé dans ses bras, anéantir cette chair amoureuse, déchirer, mordre, faire du mal, le plus de mal possible.

Suzanne râlait sous l’assaut. Alors, perdant la tête, de ses doigts raidis, à coups d’ongle, elle la griffa au front, aux joues, aux lèvres, à ces lèvres humides et roses que Philippe avait baisées. Sa haine s’avivait à chacun des gestes. Du sang coula qui se mêlait aux pleurs de Suzanne. Elle l’insulta avec des mots abominables qu’elle n’avait jamais prononcés. Et, ivre de fureur, trois fois, elle lui cracha au visage.

Elle partit en courant, se retourna, lança une dernière injure, claqua la porte et cria le long du corridor :

— Victor ! Catherine !

Dans sa chambre, elle pressa le bouton de la sonnerie jusqu’à ce que les domestiques fussent arrivés.

— Ma malle ! qu’on la descende Et qu’on attelle, n’est-ce pas, Victor ? tout de suite…

Attirée par le bruit, Mme Morestal survint. Le docteur Borel l’accompagnait.

— Qu’est-ce que vous avez, Marthe ? Qu’y a-t-il ?

— Il y a que je ne veux pas rester ici une heure de plus ! répliqua-t-elle, indifférente à la présence du médecin et des domestiques… Suzanne ou moi, que l’on choisisse…

— C’est mon mari qui s’était engagé…

— Entendu. Puisque l’on choisit cette femme, je pars, ma place n’est pas ici.

Elle ouvrait les tiroirs de la commode et jetait pêle-mêle les robes et le linge. D’un mouvement, elle arracha le tapis de la table. Tous les bibelots tombèrent.