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réclame monsieur… Il faut des instructions… Victor prétend qu’on mobilise…

La veille, après son évanouissement à la Butte-aux-Loups, le père Morestal, porté sur une civière par les soldats du détachement, avait été reconduit au Vieux-Moulin. Marthe, qui l’accompagnait, jetait quelques mots d’explication à sa belle-mère, et, sans s’occuper des plaintes de la bonne femme, sans même lui parler de Philippe et de ce qu’il avait pu devenir, courait à sa chambre et s’y enfermait.

Le docteur Borel, mandé en hâte, examinait le malade, constatait de graves désordres dans la région du cœur, et refusait de se prononcer.

Le soir et toute cette nuit du dimanche au lundi, la maison fut en l’air. Catherine et Victor allaient et venaient. Mme Morestal, au fond pleine de sang-froid, mais accoutumée à gémir dans les grandes occasions, veillait le malade et multipliait les ordres. Deux fois elle envoya le jardinier à la pharmacie de Saint-Élophe.

À minuit, le vieillard souffrait tellement, qu’on dut rappeler le docteur Borel. Il parut inquiet et fit une piqûre de morphine.

Il y eut quelques heures d’apaisement, et Mme Morestal, bien que tourmentée par l’absence de Philippe, dont elle craignait un coup de tête, put s’étendre sur un canapé.

C’est alors que Catherine fit irruption dans la chambre, au risque de troubler le repos du malade.

À la fin, Mme Morestal la bouscula :

— Mais taisez-vous donc ! Vous voyez bien que monsieur dort.

— On mobilise, madame… c’est certain qu’il va y avoir la guerre…

— Laissez-nous tranquilles avec votre guerre, bougonna la bonne femme, en la poussant dehors. Faites bouillir de l’eau pour monsieur et ne perdez pas votre temps à des balivernes.

Elle-même se mit aussitôt à l’ouvrage. Mais, tout autour d’elle, venant de la terrasse, du jardin, de la maison, elle ne ces-