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poignant Philippe par le collet de son veston, qu’est-ce que tu oses dire, misérable !

Marthe n’avait pas remué, comme étourdie. Le vieux Morestal protestait avec indignation. Philippe chuchota :

— Je dis ce qui fut.

— Tu mens ! tu mens ! hurla Jorancé. Ma fille, la plus honnête, la plus pure ! Mais, avoue donc que tu mens… avoue… avoue…

Le pauvre homme suffoquait. Les mots s’arrêtaient au travers de sa gorge. Tout son corps semblait grelotter, et l’on voyait dans ses yeux des lueurs de haine, et des envies de meurtre, et de la colère, et de la douleur surtout, de la douleur humaine et pitoyable, infinie.

Et il suppliait, et il ordonnait :

— Mais avoue donc… Tu mens, n’est-ce pas ? C’est pour tes idées… C’est cela ! Pour tes idées ! Il te faut une preuve… un alibi… et alors…

S’adressant à Le Corbier :

— Qu’on me laisse seul avec lui, monsieur le ministre… À moi, il avouera qu’il ment, qu’il parle ainsi par nécessité… ou par folie… est-ce que je sais ? Oui, par folie ! Comment t’aimerait-elle ? Pourquoi ? Depuis quand ? Elle, qui est l’amie de ta femme… Allons donc ! Je connais ma fille !… Mais réponds donc, misérable… Morestal, mon ami, exigez de lui qu’il réponde… qu’il donne des preuves. Et toi, Suzanne, pourquoi ne lui as-tu pas craché au visage ?

Il s’était retourné contre Suzanne, et Marthe, sortant de sa torpeur, comme lui, s’avança vers la jeune fille.

Suzanne, debout, vacillait, le regard fuyant.

— Eh bien, quoi ! gronda son père, tu ne réponds pas non plus ? Voyons, quoi, tu n’as pas un mot à répondre à ce menteur ?

Elle essaya de parler, bégaya des syllabes confuses, et se tut.