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— C’est l’émeute… Les boulevards sont envahis… En ce moment, les gardes municipaux chargent pour dégager le Palais-Bourbon.

— Mais enfin, qu’est-ce qu’on veut ?

— La guerre.

Le mot retentit comme un glas. Après quelques secondes, Le Corbier demanda :

— C’est tout ?

— Le président du Conseil attend votre retour avec anxiété. « Qu’il ne perde pas une minute, m’a-t-il dit, son rapport pourrait être le salut. C’est ma dernière cartouche. Si elle rate, je ne réponds de rien. » Et il a ajouté : « Et encore, n’est-il pas trop tard ? »

Autour de la table, dans le petit espace que recouvrait la tente et où le plus cruel des drames précipitait les uns contre les autres des êtres de noblesse qu’unissait la plus loyale affection, vraiment le silence fut tragique. Chacun d’eux oubliait sa peine particulière pour ne songer qu’à l’horreur du lendemain. Le mot sinistre se répercutait au fond des cœurs.

Le Corbier eut un geste désespéré :

— Sa dernière cartouche Oui, si mon rapport lui avait permis un mouvement de recul ! Mais…

Il observa le vieux Morestal, comme s’il eût espéré une rétraction soudaine. À quoi bon ? En admettant qu’il prît sur lui d’atténuer les affirmations du vieillard, Morestal, en son intransigeance, était homme à lui infliger un démenti public. Et quelle posture équivoque aurait alors le gouvernement ?

— Allons, fit-il, que le sort s’accomplisse ! Nous avons tenté l’impossible. Mon cher de Trébons, l’automobile est au carrefour ?

— Oui, monsieur le ministre.

— Veuillez prendre les dossiers, nous partons. Nous avons une heure pour gagner la gare. C’est plus qu’il ne faut.