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Mais non, vous ne le pouvez pas ! Rappelez-vous, l’autre matin, le matin de vendredi, nous sommes revenus ici, et, tandis que vous me montriez de nouveau la route parcourue, vous vous êtes écrié : « Et si je me trompais ! Si nous avions bifurqué plus à droite ! Si je me trompais !

— Scrupule exagéré ! Tous mes actes, toutes mes réflexions, au contraire…

— Il n’y avait pas à réfléchir ! Il n’y avait même pas à retourner sur ce chemin Si vous y êtes retourné, c’est qu’un doute vous torturait.

— Je n’ai pas douté une seconde.

— Vous croyez ne pas douter, mon père ! Vous croyez aveuglément en votre certitude ! Et vous croyez cela, parce que vous n’y voyez pas clair. Il y a en vous un sentiment qui plane sur toutes vos pensées et sur toutes vos actions… un sentiment admirable et qui fait votre grandeur, c’est l’amour de la France. Il vous semble que la France a raison envers et contre tout, et quoi qu’il arrive, et que ce serait le déshonneur pour elle que d’avoir tort. C’est avec cet état d’esprit que vous avez déposé devant le juge d’instruction. Et c’est ce même état d’esprit, monsieur le ministre, dont je vous demande de tenir compte.

— Et toi, proféra le vieux Morestal, éclatant à la fin, je t’accuse d’être poussé par je ne sais quel sentiment abominable contre ton père, contre ton pays, par je ne sais quelles idées infâmes…

— Mes idées sont en dehors…

— Tes idées que je devine sont la raison de ta conduite et de ton aberration. Si j’ai trop d’amour pour la France, tu oublies trop, toi, ton devoir envers elle.

— Je l’aime autant que vous, mon père, s’écria Philippe avec véhémence, et mieux peut-être ! C’est un amour qui m’émeut parfois jusqu’aux larmes, quand je pense à ce qu’elle fut, à ce qu’elle est, si belle, si intelligente, si haute, si adorable de grâce et de bonne foi ! Je l’aime, parce qu’elle est la mère de toutes les grandes idées. Je l’aime parce que son langage est