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duite tracée d’avance et dont rien ne le ferait dévier.

Morestal et Jorancé l’écoutaient avec effroi.

Marthe, immobile, les yeux accrochés à ceux de son mari, se taisait.

Le Corbier conclut :

— C’est-à-dire que vous ne voulez pas prendre votre part de responsabilité.

— Je prends la responsabilité de tout ce que j’ai fait.

— Mais vous vous retirez du débat.

— En ce qui me concerne, oui.

— Je dois donc annuler votre témoignage, et m’en tenir aux assertions inébranlables de M. Morestal, n’est-ce pas ?

Philippe garda le silence.

— Hein ! quoi ! s’écria Morestal, tu ne réponds pas ?

Il y avait dans la voix du vieillard comme une supplication, un appel désespéré aux bons sentiments de Philippe. Sa colère tombait presque, tellement il était malheureux de voir son fils, son garçon, en proie à une pareille démence.

— N’est-ce pas ? reprit-il avec douceur, n’est-ce pas, monsieur le ministre peut et doit s’en tenir à mes déclarations ?

— Non, dit Philippe, intraitable.

Morestal tressaillit.

— Non, mais pourquoi ? Quel motif as-tu de répondre ainsi ? Pourquoi ?

— Parce que, mon père, si la nature même de vos déclarations n’a pas varié, votre attitude, depuis trois jours, prouve qu’il y a en vous certaines réticences, certaines hésitations.

— Où as-tu vu cela ? demanda Morestal, tout frémissant, mais encore maître de lui…

— Votre certitude n’est pas absolue.

— Comment le sais-tu ? Quand on accuse, on prouve.

— Je n’accuse pas, j’essaie de préciser ce qui est mon impression.

— Ton impression ! Qu’est-ce qu’elle vaut à côté des faits ? Et ce sont des faits, moi, que j’avance.

— Des faits interprétés par vous, mon père, et dont vous ne pouvez pas être sûr.