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taine de territoriale Lériot, le héros de la traversée de la Manche. Ils seront tous, mardi, au camp de Châlons, avec leurs appareils. » Hein ! Que dis-tu de cela, mon garçon ? D’un côté, la flotte de l’Angleterre… De l’autre, notre flotte aérienne… Essuie tes beaux yeux, ma jolie Suzanne, et prépare la soupe ce soir au papa Jorancé ! Ah ! pour le coup, la mère, on boira du champagne !

Son allégresse, un peu forcée, n’eut point d’écho. Philippe demeurait silencieux, le front barré d’un pli que Marthe connaissait bien. À sa mine, à ses paupières battues, elle ne douta point qu’il n’eût passé la nuit debout, examinant la situation dans tous les sens et cherchant la route à suivre. Avait-il pris une décision ? Et qu’était-elle ? Il semblait si dur, si âpre et tellement clos en lui-même qu’elle n’osa l’interroger.

Après un repas rapidement servi, Morestal, sur une nouvelle communication téléphonique, se rendit en toute hâte à Saint-Élophe, où l’attendait le sous-secrétaire d’État Le Corbier.

Philippe, dont l’heure de convocation était retardée, monta dans sa chambre et s’y enferma.

Quand il redescendit, il trouva Marthe et Suzanne qui avaient résolu de l’accompagner. Mme Morestal le prit à part et, une dernière fois, lui recommanda de surveiller son père.

Tous trois, ils s’en allèrent vers le col du Diable. Un ciel lourd, pesant de nuages, se traînait sur la cime des montagnes, mais le temps était tiède et les pelouses semées d’arbres avaient encore un air d’été.

Marthe dit, pour rompre le silence :

— Il y a quelque chose dans la nature d’apaisant et de doux aujourd’hui. C’est bon signe. Ceux qui dirigent l’enquête en subiront l’influence. Car tout dépend, n’est-ce pas, Philippe, de leur humeur, de leurs impressions, de l’état de leurs nerfs ?

— Oui, dit-il, tout dépend d’eux.