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avec l’ambassade d’Allemagne, et demain…

— Vous croyez ?…

— Je vois plus loin. Je crois que l’Allemagne prendra les devants.

Comme ils débouchaient au col du Diable, ils croisèrent une petite troupe de gens que conduisait un homme à casquette galonnée.

Morestal salua d’un grand coup de chapeau, en ricanant :

— Bonjour !… Ça va bien ?

L’homme passa sans rien dire.

— Qui est-ce ? demanda Philippe.

— Weisslicht, le chef des policiers.

— Et les autres ?

— Les autres ?… C’est l’enquête allemande qui opère à son tour.

Il était alors quatre heures de l’après-midi.

Cette fin de journée fut paisible au Vieux-Moulin. À la nuit tombante, Suzanne arriva, tout heureuse, de Bœrsweilen. On lui avait remis une lettre de son père et, le samedi, on lui donnerait l’autorisation de le voir.

— Tu n’auras même pas besoin de retourner à Bœrsweilen, dit Morestal, c’est ton père qui viendra te rechercher, n’est-ce pas, Philippe ?

Le dîner les réunit tous les cinq sous la lampe de famille, et ils éprouvèrent une impression de détente, de bien-être et de repos. On but à la santé du commissaire spécial. Il leur semblait d’ailleurs que sa place n’était pas vide, tellement ils songeaient à son retour avec certitude.

Seul, Philippe ne participait pas à l’allégresse. Placé à côté de Marthe et en face de Suzanne, il était de nature trop droite et de jugement trop sain pour ne pas souffrir d’une situation aussi fausse.

Depuis l’avant-dernière nuit, depuis l’instant où il quittait Suzanne aux clartés naissantes de l’aube qui se glissait dans la chambre de la jeune fille, à Saint-Élophe, c’était la première fois qu’il avait, en quelque sorte, le temps d’évoquer le souvenir de ces heures troublantes. Effrayé