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quait, dans la brume de l’horizon, la plaine allemande.

Et cela aussi, il se le répétait, et il se le répéta cette fois comme les autres, avec une amertume que les années ne calmaient point.

— La plaine allemande… les collines allemandes… tout ce pays d’Alsace où je me promenais, enfant… le Rhin français, qui était mon fleuve et celui de mes pères. Deutschland… Deutsches Rhein…

Un sifflement léger le fit tressaillir. Il se pencha vers l’escalier qui gravissait la terrasse, taillé en plein roc, et par lequel ceux qui venaient de la frontière entraient souvent chez lui pour éviter le tournant de la route. Il n’y avait personne, et personne non plus en face, sur le talus, enchevêtré d’arbustes et de fougères.

Et le même bruit recommença, discret, sournois, formé des mêmes modulations.

— C’est lui… c’est lui… pensa M. Morestal, avec un sentiment de gêne.

Une tête jaillit entre les buissons, une tête où tous les os saillaient, rejoints par des muscles en relief, ce qui lui donnait l’air d’une tête de pièce anatomique. Sur l’os du nez, des lunettes de cuivre. Au travers du visage, comme une balafre, la bouche édentée, grimaçante.

— Encore toi, Dourlowski.

— Je peux venir ? fit l’homme.

— Non… non… tu es fou…

— Ça presse.

— Impossible… Et puis, tu sais, je ne veux plus. Je te l’ai déjà dit…

Mais l’homme insistait :

— Ce serait pour ce soir, pour cette nuit… C’est un soldat de la garnison de Bœrsweilen… Il ne veut plus porter l’uniforme allemand.

— Un déserteur… j’en ai assez… fiche-moi la paix.

— Faites pas le méchant, monsieur Morestal… Réfléchissez… Tenez, on se retrouvera vers quatre heures, au col, près de la ferme Saboureux… comme la dernière