Page:Leblanc - La demoiselle aux yeux verts, paru dans Le Journal, du 8 déc 1926 au 18 jan 1927.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il hésita pourtant, lorsqu’elle eut réglé son addition et qu’elle s’en fut avec les trois enfants. La suivrait-il ? ou resterait-il ? Qui l’emporterait ? Les yeux verts ? Les yeux bleus ?

Il se leva précipitamment, jeta de l’argent sur le comptoir et sortit. Les yeux verts l’emportaient.

Un spectacle imprévu le frappa : la demoiselle aux yeux verts causait sur le trottoir avec le bellâtre qui, une demi-heure auparavant, suivait l’Anglaise comme un amoureux timide ou jaloux. Conversation animée, fiévreuse de part et d’autre, et qui ressemblait plutôt à une discussion. Il était visible que la jeune fille cherchait à passer, et que le bellâtre l’en empêchait, et c’était si visible que Raoul fut sur le point, contre toute convenance, de s’interposer.

Il n’en eut pas le temps. Un taxi s’arrêtait devant la pâtisserie. Un monsieur en descendit qui, voyant la scène du trottoir, accourut, leva sa canne et, d’un coup de volée, fit sauter le chapeau du bellâtre pommadé.

Stupéfait, celui-ci recula, puis se précipita, sans souci des personnes qui s’attroupaient.

— Mais vous êtes fou ! vous êtes fou ! proférait-il.

Le nouveau venu, qui était plus petit, plus âgé, se mit sur la défensive, et, la canne levée, cria :

— Je vous ai défendu de parler à cette jeune fille. Je suis son père, et je vous dis que vous n’êtes qu’un misérable, oui, un misérable !

Il y avait chez l’un et chez l’autre comme un frémissement de haine. Le bellâtre, sous l’injure, se ramas-