Page:Leblanc - La demoiselle aux yeux verts, paru dans Le Journal, du 8 déc 1926 au 18 jan 1927.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’une chaîne retenait contre un pieu. Elle s’y installa sans mot dire. Il prit les rames, et ils s’en allèrent doucement.

L’eau couleur d’ardoise ne reflétait pas le bleu du ciel, mais plutôt la teinte sombre de nuages invisibles. Au bout des avirons luisaient des gouttes qui paraissaient lourdes comme du mercure, et l’on s’étonnait que la barque pût pénétrer dans cette onde pour ainsi dire métallique. Aurélie y trempa sa main, mais dut la retirer aussitôt, tellement l’eau était froide et désagréable.

— Oh ! fit-elle avec un soupir.

— Quoi ? Qu’avez-vous ? demanda Raoul.

— Rien… ou du moins, je ne sais pas…

— Vous êtes inquiète… émue…

— Émue, oui… je sens en moi des impressions qui m’étonnent… qui me déconcertent. Il me semble…

— Il vous semble ?

— Je ne saurais dire… il me semble que je suis un autre être… et que ce n’est pas vous qui êtes ici. Est-ce que vous comprenez ?

— Je comprends, dit-il en souriant.

Elle murmura :

— Ne m’expliquez pas. Ce que j’éprouve me fait mal, et cependant, pour rien au monde, je ne voudrais ne pas l’éprouver.

Le cirque de falaises, au sommet desquelles le grand mur apparaissait de place en place et qui se développait sur un rayon de cinq à six cents mètres, offrait, tout au fond, une échancrure où commençait un chenal resserré que ses hautes murail-