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cause de toi, Coloquinte. Je sais que je n’ai jamais aimé Yolande, que, même loin de toi, c’est sous tes yeux que j’agissais et d’accord avec toi que je pensais. Et ainsi, en remontant dans ma vie, je m’aperçois que tu étais le principe et la raison de tous mes actes. La première fois où je t’ai vue aux Danaïdes, toute petite fille, tu m’as pris le cœur, Coloquinte. Tu n’étais qu’une enfant, et cependant…

À la nuit, il se remit en route et gagna la cité des Baraques. Il trouva sa boîte d’allumettes et ses affaires bien rangées. Coloquinte était venue aux Danaïdes.

Il s’assit devant la porte et alluma sa pipe. Il n’y avait point de lune, mais un clair d’étoiles qui était comme la lueur même de l’ombre.

Une silhouette passa. Puis la barrière de l’enclos fut poussée, et il aperçut la jeune fille qui entrait, portant à la main et sur ses épaules des objets qu’il ne reconnut point d’abord.

Elle ne vint pas vers lui. Elle longea la palissade et s’arrêta devant les deux arbres sans feuilles. Là, elle déposa un objet qui devait être une valise, et un autre qui était la serviette de cuir. Ensuite il discerna que Coloquinte accrochait un hamac au tronc des deux arbres. Lorsque tout fut prêt, elle s’y étendit et ne bougea plus.

Balthazar pensa dès lors que son destin était fixé. Coloquinte avait apporté aux Danaïdes son mobilier et son trousseau.

Dix pas les séparaient l’un de l’autre. Son cœur battait violemment, et il se disait que le cœur de Coloquinte devait battre sur le même rythme que le sien.

Frémissant d’émotion, il s’approcha. La main de la jeune fille pendait hors du hamac, et il fut sur le point de la saisir et de la couvrir de baisers ainsi que son bras qui était nu. Mais il ne le fit point. Il avait entendu le bruit de sa respiration et compris qu’elle dormait sous la protection de son bien-aimé.

Alors il se mit à genoux et demeura silencieux, la tête levée vers le hamac immobile, et vers les étoiles qui palpitaient dans l’espace. Il reconnaissait la forme des constellations, et se souvenait des paroles de l’ecclésiastique sur l’ordre immuable des choses du ciel et de la terre, sur la loi nécessaire, sur l’acceptation de la discipline, sur l’obéissance aux règles établies… Puis il rentra et s’endormit à son tour.

L’aventure de Balthazar commençait…


Fin