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Vers midi, une voisine vint la remplacer, et ils partirent tous deux en tramway pour Saint-Cloud, selon l’adresse jetée par Beaumesnil à son chauffeur.

— Mon plan est simple, déclara Balthazar qui avait la plus grande confiance en ses moyens physiques depuis son « meurtre » de la veille. Je le saisis à la gorge et je lui annonce que M. Vaillant du Four dépose une plainte contre lui, et que, moi, je l’accuse de vol et d’escroquerie. Il rendra l’argent.

Cette humeur combative s’accrut lorsqu’ils surent que le poète Beaumesnil possédait une villa à Saint-Cloud. On allait donc en finir aussitôt.

Pour prendre des forces, Balthazar entra dans le parc et déjeuna sur un banc avec les provisions que Coloquinte tira de sa serviette.

Puis il fuma sa pipe, et se permit une heure de sommeil. Coloquinte l’avait installé au pied d’un arbre. Il la surprit qui chassait les mouches dont il était importuné, et lui dit :

— Comme tu es bonne avec moi, ma petite Coloquinte ! Qui donc t’a enseigné la bonté et le dévouement ?

— Vous, monsieur Balthazar !

— Non, dit-il, j’ai plutôt prêché devant toi l’égoïsme.

Elle murmura :

— C’est tout de même vous, monsieur Balthazar.

— Ah ! fit-il en pensant déjà à autre chose.

Sur leurs têtes, des feuilles et des oiseaux remuaient. Durant deux heures, ils n’échangèrent plus une parole. À certaines minutes, lorsque le calme de l’ombre, la gaîté du soleil ou l’enchantement de la solitude leur donnaient de ces sensations plus fortes qui cherchent à s’exprimer, ils se regardaient et souriaient. Le bonheur se manifeste le plus souvent par un bien-être physique.

Ils flânèrent dans le parc, tout en descendant vers la Seine.

Balthazar affirma :

— Nos tribulations sont terminées, Coloquinte. Notre destin, avant de se fixer, a subi quelques secousses, comme une terre qui tremble avant de connaître le repos définitif. N’en parlons plus et laissons le poète Beaumesnil à ses machinations. Nous n’avons plus qu’à planter notre tente.

— Et le portefeuille ? demanda-t-elle.

Il ne répondit pas. Cette affaire ne l’intéressait plus.

Une belle pelouse verte se déroulait devant eux comme un tapis de velours où le soleil faisait craquer des feuilles déjà mortes. Elle les conduisit au bord du fleuve, et ils attendirent sur le ponton d’un embarcadère le bateau qui les ramènerait à Paris.

— Nous n’avons plus qu’à planter notre tente, répéta Balthazar. S’il y a de mauvaises gens, il y a d’excellentes personnes. Quelle joie ce sera, le dimanche, d’aller voir nos bons amis Fridolin et Mlle Ernestine !

— Et Mlle Yolande ? dit Coloquinte.

— Je n’oublie pas qu’elle est ma fiancée. J’irai lui rendre visite ainsi qu’à M. Rondot, puisque j’ai pris un engagement à date fixe, et je leur exposerai que, si je n’ai pas la fortune réclamée, du moins, je ne suis pas embarrassé par le choix d’un père. Coucy-Vendôme ou prince Revad, cela, me semble-t-il, peut satisfaire la famille la plus exigeante.