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Fraise-des-Bois, toujours souriante, tendit une petite brassière en crochet à laquelle ses mains maladroites se mirent à travailler, défaisant, refaisant et embrouillant les mailles. Le peloton de laine sautait près d’elle avec un bruit de métal qui frappa Balthazar. On avait dévidé cette laine autour d’une clef dont l’anneau, muni d’une étiquette, se dégageait peu à peu. Ayant lu ces mots à demi effacés : rue Berton, à Neuilly, et, subitement convaincu que c’était l’adresse particulière de Beaumesnil, il mit la clef dans sa poche et recula vers le palier.

Pas un instant il n’avait songé que la pauvre folle était peut-être sa mère.

Dans la cour, aucune auto n’était libre, il dut se contenter d’un fiacre lamentable, à roues cerclées de fer, et traîné par un cheval-squelette dont on n’aurait su dire s’il allait au pas ou au trot. Balthazar enrageait. Il grimpa sur le siège et fouetta la bête qui s’arrêta net. Enfin, on déboucha dans une rue sinistre où stationnait une automobile.

Balthazar régla le cocher et rasa les murs, tandis que sa cape et son feutre se profilaient sur le macadam en ombres démesurées. Devant une maison isolée et très basse, le chauffeur de Beaumesnil dormait.

Sans bruit, la clef fut introduite et tourna dans la serrure. Balthazar retenait son souffle. À tâtons, il palpa une muraille qu’il suivit et qui le fit pénétrer assez loin dans l’intérieur du rez-de-chaussée. Une marche lui barra la route. Il trébucha et se releva tout juste pour entendre une porte qui s’ouvrait, et pour voir, à quelques pas de lui, le maillot gris perle et le pourpoint grenat de Benvenuto Cellini.

— C’est toi, Dominique ? demanda celui-ci. Que diable fais-tu là ?

Mais, ayant ouvert davantage la porte, il reconnut, en pleine clarté, la cape et le feutre du chevalier d’Artagnan. Il sauta en arrière. Balthazar bondit et entra dans la pièce. À l’autre bout, Coloquinte gisait inerte, sur un fauteuil, les yeux clos, et très pâle.

— Assassin ! proféra-t-il d’un ton rauque.

D’un geste désespéré, il réussit à tirer l’épée de d’Artagnan, une épée molle et sans pointe, qui avait l’air d’une latte de fer-blanc.

Benvenuto Cellini prit sa dague et braqua un pistolet damasquiné, tout en disant :

— Ah ! ça, mais tu es fou… Tu ne veux pourtant pas tuer ton père, Rudolf !

Mais une telle expression de haine et de