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qui se souvenait de la formule horripilante, tais-toi, je suis excédé…

— Oui, dit-elle, n’en parlons plus. Plus tard, vous réfléchirez. Mais maintenant nous devrions prendre la fuite. Levez-vous, monsieur Balthazar.

— Je ne peux pas, Coloquinte. Regarde mes jambes.

Elle projeta la lumière de ce côté, et, aussitôt, s’épouvanta :

— Oh ! est-ce possible ? Qui vous a blessé ainsi ?

— Cette femme… et son bourreau… avec un fer rouge.

— Un fer rouge !… Ils vous ont brûlé comme des sauvages !

Elle l’embrassa désespérément, et, le tutoyant pour la première fois, frémissante, et révoltée.

— Oh ! mon chéri, qu’ont-ils fait de toi ! Oh ! mon chéri ! mon chéri, mon chéri… dis-moi que tu ne souffres plus… c’est au-dessus de mes forces… Mon Dieu, mon Dieu, moi qui donnerais ma vie…

Elle se glissa jusqu’aux plaies qu’elle bassina légèrement, et d’où elle enlevait la terre à l’aide de ses lèvres ardentes.

Et sans arrêt, avec des sanglots et des baisers, elle chuchotait dans les ténèbres :

— Mon chéri… mon chéri… ne souffre plus… je ne veux pas que tu souffres… tu n’as plus mal, n’est-ce pas, mon chéri ?



IX

Il nous est plus difficile de connaître la raison de notre bonheur que celle de nos tourments


Lorsque Balthazar reprit tout à fait conscience, il se trouvait sur le pont d’un joli yacht, étendu au fond d’un rocking-chair, et sous la garde de Coloquinte. Les eaux calmes d’un petit port luisaient à l’entour. Une ville italienne se tassait entre deux collines.

Ils se sourirent et elle lui demanda :

— Vous ne souffrez plus, monsieur Balthazar ?

— Plus du tout.

— Mon Dieu, que c’est bon de vous entendre dire cela ! Nous avons été bien inquiets depuis six jours.

— Six jours déjà… Ah ! Coloquinte, quel cauchemar ce fut, là-bas !…

— Je sais… je sais… dit-elle. Durant votre délire, vous nous avez tout raconté… La bataille… la torture… l’exécution… Ce que j’étais malheureuse en vous écoutant !

Il prit un malin plaisir à regarder les deux nattes blondes qu’il avait souvent évoquées au cours de la nuit funèbre. Les nattes, moins rigides, se terminaient par des boucles légères. Les yeux exprimaient des sentiments qu’il ne comprenait pas, mais qui l’emplissaient d’un bonheur tranquille et infini.

À l’autre bout du pont, quatre hommes, les quatre matelots, étaient penchés par-dessus le bastingage. L’un d’entre eux projeta une échelle de corde dont ils maintinrent les extrémités. Une tête apparut, puis un buste dodu qui ruisselait, puis deux jambes massives sur lesquelles se plaquait un caleçon de bain tout mouillé. Un bond, et le baigneur sauta sur le parquet. Aussitôt, un des matelots lui donna une vigoureuse friction. Puis, s’étant approché jusqu’au milieu du pont, il se mit à faire des exercices de gymnastique et de respiration.

Il avait un torse de gros bébé, que la pratique du sport n’avait doté d’aucun muscle apparent. De loin, sa face poupine