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— Bientôt, murmura Coloquinte. Donnez-moi la gourde de cognac qui est là… dans ma serviette de cuir…

Il avala quelques gorgées qui le réchauffèrent, mais la voix de l’homme reprit :

— Êtes-vous bien certaine que ce soit lui ?

— Que ce soit Balthazar ?

— Non, mais que Balthazar soit bien celui que je cherche ? Je voudrais en avoir la preuve irrécusable.

— Mais puisque je vous ai parlé de cette marque, de ces trois lettres…

— Je tiens à m’en assurer moi-même.

À son tour, il se pencha et saisit un des côtés du col ouvert.

Nos réserves d’énergie sont inépuisables. Balthazar se raidit avec la brutalité d’un ressort qui se détend. Des pieds à la tête, une rage soudaine l’avait secoué, et, de ses deux mains, il tenait l’intrus à la gorge :

— Qu’est-ce que vous me voulez ?… Je ne consens pas…

Coloquinte s’interposa, et, d’une voix suppliante :

— Je vous en prie, monsieur Balthazar, c’est lui qui vous a sauvé… qui a payé les soldats et l’officier pour qu’on ne vous tue pas. C’est M. Beaumesnil, le grand poète.

— Qu’il s’en aille !

— Monsieur Balthazar, c’est votre père.

Ce mot redoubla l’irritation de Balthazar. Il avait encore une âme de prince héritier, et son père n’était et ne pouvait être que le héros chevaleresque, mort pour la bonne cause, et dont le cadavre décapité gisait près de lui.

— Qu’il s’en aille ! Assez de toutes ces histoires stupides !

Coloquinte ordonna :

— Partez, monsieur Beaumesnil… Je vais le calmer, et nous vous rejoindrons sur le chemin de l’auberge. Venez à notre rencontre avec les chevaux.

Les pas de l’homme s’éloignèrent. Coloquinte s’allongea dans la tombe. Un ciel d’étoiles planait au-dessus d’eux. Tout autour, c’était le grand silence d’un cimetière. Elle murmura :

— Ne vous fâchez pas contre lui, monsieur Balthazar. Vous n’aurez pas à rougir d’être le fils de M. Beaumesnil… C’est un grand poète… Il a écrit des livres que tout le monde admire. Il vous cherche depuis longtemps…

— Tais-toi, Coloquinte, dit Balthazar