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La capture du grand chef provoqua des transports de joie. On le coucha dans une charrette, la face tournée vers le soleil de midi, et enduite de miel pour que les mouches et les abeilles s’y vinssent délecter. Balthazar fut heureux qu’on lui appliquât le même traitement.

Un chemin cahoteux les conduisit en pleine montagne, aux abords d’une petite forteresse à pont-levis qui devait dater des croisades. Un seigneur en jupon les accueillit et les claquemura dans une pièce voûtée, que soutenait un pilier central, qu’éclairait une large fenêtre en ogive et qu’ornaient des instruments de torture : chevalets, enclumes, haches et tenailles. Des chaînes remplacèrent les cordes. On les laissa seuls après leur avoir donné une cruche d’eau et de la bouillie. Leurs mains étaient libres. Ils étaient si las qu’ils s’endormirent.

Le bruit d’une discussion violente réveilla Balthazar. Les poings crispés, les bras tendus et frémissants, son père invectivait contre une femme qui, dans la même attitude de menace, lui lançait des injures. Leurs poings se touchaient presque.

Balthazar n’eut pas besoin de se reporter à la photographie pour savoir qui était cette femme. Revad pacha proférait son nom comme si c’eût été le pire des outrages :

— La Catarina ! Catarina-la-Bougresse !

Elle avait un dur visage tout flétri, couvert de poudre jaune, mais admirable encore, et ses bras nus autour desquels sonnaient des cercles d’argent étaient beaux comme deux bras de statue.

L’acuité de sa voix réduisit le pacha au silence. Elle appela. Le seigneur du château entra, accompagné d’une demi-douzaine de guerriers dont l’un tenait une pointe de fer chauffée à blanc. Sur l’ordre de la Catarina, l’extrémité de cette pointe fut appliquée sur le front du chef, entre les deux sourcils. La peau grésilla. Le chef demeura impassible. Mais Balthazar s’évanouit dans ses chaînes.

La Catarina, ignorant ce qu’était ce personnage en chapeau haut de forme, s’enquit auprès du seigneur. Celui-ci ne savait rien, et les autres pas davantage. On crut donc à une erreur, et il fut délivré.

Balthazar chancelait. La vue des instruments de supplice, l’odeur du brûlé et l’ingestion d’une nouvelle écuelle de bouillie, tout cela était au-dessus de ses forces, et, malgré son épuisement, il se dirigea vers la porte en toute hâte. Déjà Revad pacha se réjouissait et pouvait croire au salut du prince héritier, lorsque, par malheur, les yeux du père et du fils se rencontrèrent. Alors, Balthazar s’arrêta et dit :

— C’est moi le prince héritier. C’est moi Mustapha…

La femme parut stupéfaite. Balthazar répéta, en se frappant la poitrine avec orgueil :

— Mustapha… Mustapha…

Après un moment, d’un geste brusque, elle lui arracha son col et vit les trois lettres.

Une telle joie la secoua qu’il en fut ravi, convaincu qu’elle allait l’embrasser à son tour et fêter tendrement ce fils que lui rendait un destin favorable.

Mais elle donna l’ordre qu’on l’enchaînât de nouveau, lui fit toucher le front avec la pointe de fer rouge, et se retira en lançant des éclats de rire qui résonnaient dans la chambre des tortures.