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À la suite d’une charge à fond contre cette Catarina, l’exaltation atteignit son paroxysme. Revad pacha saisit deux revolvers et tira du haut de ses bras tendus. De la montagne répondirent des salves de mousqueterie. L’heure de l’action sonnait. Les guerriers en jupes plissées s’agitèrent.

Alors, tourné vers le Professour, Revad pacha lui mit sous les yeux une photographie de femme, très belle, au type d’Orientale, et, la voix rageuse :

— Ta mère, Mustapha… Catarina-la-bougresse…

Sans aucun doute, c’était l’adversaire qu’il s’agissait de combattre, et Balthazar apportait comme atout, dans la partie, son titre de prince héritier et son prestige de Professour.

La photographie de Catarina rejoignit au fond de sa poche celles d’Ernestine Henrioux et d’Angélique Fridolin. Cette filiation ne le gênait guère. Il avait été entraîné par un tel courant de péripéties, et transplanté avec tant de brusquerie, qu’il se trouvait en quelque sorte, et pour un temps plus ou moins long, dépouillé de ses anciens sentiments, et prêt à subir du premier coup la force irrésistible de circonstances nouvelles. Il répondit avec véhémence aux étreintes d’un père qui lui semblait de grande allure et il ne sentait plus le piquant de poils de cactus. Plein d’une ardeur de néophyte, il avala toute une écuelle d’aliments bouillis que le pacha lui offrit et qui étaient proprement exécrables.

Des chevaux cependant furent amenés, de petites bêtes anguleuses dont la queue balayait la poussière du sol.

Le pardessus moutarde, très ample, échancré en arrière d’un coup de poignard, serré par une ceinture de cartouches à laquelle pendait un sabre aussi long que la queue du cheval, joua le rôle de manteau de campagne. Un fez découpé orna le chapeau haut de forme d’une large bande rouge. Une panoplie de pistolets et de yatagans fut accrochée un peu partout. Vraiment, le prince héritier prenait un air martial.

Le prince héritier constata non sans surprise que l’art de l’équitation n’avait aucun secret pour lui, et que son cheval, au bruit des pétards et des fusillades, ne bronchait pas plus qu’un âne rompu de fatigue. À la sortie du camp, le sentier s’accrochait au flanc des montagnes. Un à un, fantassins et cavaliers suivirent le bord de précipices de plus en plus en profonds. Un tournant permit à Balthazar de rendre son déjeuner. Après quoi, il dormit, l’âme et l’estomac satisfaits.

À six heures, le chemin s’élargissant, son père vint l’embrasser et lui fournit sur toute l’affaire des explications minutieuses que le prince héritier écouta aussi religieusement que s’il avait connu les moindres nuances de la langue employée. Puis les troupes défilèrent devant eux, et Balthazar, tout au regret que Coloquinte n’assistât point à ces manifestations grandioses, s’entretenait avec elle.

On marcha jusqu’à la fin de la journée suivante, avec de petites haltes qui réveillaient Balthazar en sursaut. Les montagnes arides furent traversées, et soudain, à l’issue de plusieurs défilés, s’ouvrit une large plaine de l’autre côté de laquelle on discernait des feux et des rassemblements. C’était l’armée ennemie. Le sort du pays se déciderait le lendemain.

On dressa quelques tentes sur un pla-