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Trois ou quatre cents figures basanées, et autant de jupes plissées, grouillaient au bord d’une crique toute bleue dans son décor de granit.

Balthazar fut happé et porté en triomphe par des gens qui répandaient une odeur intolérable. Ils escaladèrent les parois d’une terrasse bordée d’aloès et de cactus, ornée de dalles roses, et où d’autres jupes s’agitaient, celles-ci d’étoffe plus riche.

Au milieu, un homme très grand secouait vers le ciel des bras d’épouvantail. Il était maigre, sec, et sa figure osseuse semblait peinte au jus de tabac.

Il rugit des ordres avec une autorité de chef.

On lui obéit.

Malgré la résistance furieuse qu’il opposa, Balthazar dut subir les deux épreuves solennelles. Son col fut arraché et son doigt plongé dans un liquide noir et gluant. Après quoi, une exclamation formidable roula sur les rochers et sur la mer.

— Mustapha ! Mustapha !

Le chef, qui devait être Revad pacha, secoua de nouveau des bras frénétiques que prolongeaient maintenant deux énormes sabres recourbés. Puis il se précipita sur Balthazar, lui entoura le cou de ses deux bras et de ses deux sabres, et proféra avec une joie délirante :

— Monn’fils ! Monn’fils !



VII

Il y a toujours de la place dans un tendre cœur


La première sensation de Balthazar fut douloureuse, car il subissait l’attaque d’un menton mal rasé, qui se hérissait de poils rares et durs comme des piquants de feuilles de cactus. Mais l’exaltation paternelle du personnage le touchait. De quelle ardeur et de quelle fougue passionnée vibrait ce père inconnu !

Il jucha « sonn’fils » sur un banc de pierre, sauta près de lui, et projeta un torrent d’éloquence gutturale qui faisait trembler le cœur de Balthazar comme le son d’une trompette. Tour à tour, en une langue qui semblait composée de coups de cymbales et de battements de tambour, il invoquait le Ciel, apostrophait l’Adriatique, et prenait à témoin les pics environnants.

Balthazar était l’objet constamment désigné de cette ardente allocution. Il le frappait au front en criant :

— Professour ! Professour !

Mais un autre nom revenait souvent, que le pacha prononçait avec un accent de haine féroce et qui faisait courir dans la foule des frémissements de colère.

— Catarina ! la Catarina !