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sa torpeur, se dressa, l’air indomptable et sûr de lui, comme s’il amenait un régiment à la rescousse. Il se carra, bien d’aplomb, en travers du passage. Un second coup de poing au menton le « descendit ». Coloquinte, dernier rempart, protégeait son maître de ses deux mains étendues et menaçait les assaillants.

— Vous n’y toucherez pas !… je vous défends d’avancer !…

L’Anglais lui colla la main sur la bouche et la renversa, tandis que les trois individus s’occupaient de Balthazar. Mais Coloquinte, terrassée et vaincue, criait encore :

— Je vous défends de lui faire du mal… je vous dénoncerai…

— Ah ! la gueuse, elle m’a mordu ! s’exclama l’Anglais.

Il la frappa avec une violence furieuse, tout en continuant à donner des ordres. On fourra Balthazar dans le pardessus moutarde, on le porta et on le plia brutalement au fond d’une vieille caisse qui fut cordée et traînée en dehors des Danaïdes. De loin, il entendait la voix éperdue et douloureuse de Coloquinte. Elle proférait :

— Ne craignez rien, monsieur Balthazar… Je vous retrouverai… Je remuerai le monde…

Il sentit qu’on le hissait sur le toit d’une automobile, et l’Anglais commanda à l’homme qui conduisait :

— Route de Dieppe.

La voiture bondit sur des chemins défoncés, avec des cahots qui faisaient basculer la caisse. Le captif respirait à peine et ne pouvait bouger. Sa tête était engagée sous un de ses bras. À deux reprises, il s’évanouit. Dans l’intervalle, il pensait à Coloquinte. Les cris de la jeune fille résonnaient au fond de lui. Jamais, Balthazar n’avait vu l’image d’un tel désespoir.

Il luttait contre un troisième évanouissement, lorsque la voiture s’arrêta net et que jaillirent d’autres clameurs. Il y eut même une détonation. Que se passait-il ? On se battait et on s’injuriait à l’entour. Était-ce les deux bandits qui revenaient à la charge, ou bien une contre-attaque exécutée par une nouvelle troupe d’agresseurs ?

Après une minute de silence, il sentit qu’on descendait la caisse. Il en fut extrait. Devant lui, ce n’était plus l’Anglais au chapeau de paille, mais l’inspecteur de police qui l’avait conduit à la préfecture, et qui lui dit poliment :

— Ne craignez rien. Asseyez-vous dans l’auto. Je vous suivrai dans la mienne.

On se trouvait en plein bois. L’Anglais et ses complices se sauvaient à travers les taillis. L’inspecteur, qui était escorté des quatre Levantins sordidement vêtus que Balthazar avait aperçus près des Danaïdes, quelques jours auparavant, les fit monter à l’intérieur ou sur le siège, et l’on partit.

Durant deux nuits et un jour, les autos roulèrent sans incident. Les compagnons de Balthazar ne soufflaient pas mot et somnolaient. Peut-être aurait-il pu s’évader ; il n’y songeait même pas.

On atteignit le port de Marseille. L’inspecteur fit ses adieux à Balthazar, qui fut conduit, ainsi que les quatre Levantins, à bord d’un torpilleur français. On leva l’ancre aussitôt.

Avec des façons très courtoises, un officier de marine mena le captif dans une pièce confortable et lui demanda s’il n’avait besoin de rien.