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mément aux renseignements de l’agence X. Y. Z., la bande de calicot où s’inscrivait : « Les Lions de l’Atlas, direction Angélique. »

C’était une ménagerie de piètre apparence, avec des toiles peintes où il n’y avait plus de peinture, et des véhicules branlants d’où les lions de l’Atlas eussent pu s’évader aisément, s’il leur fût resté le moindre désir d’indépendance.

La représentation de l’après-midi venait de se terminer. Coloquinte et Balthazar firent le tour des toiles et atteignirent les roulottes entre lesquelles s’accumulaient les vieilles caisses et se préparait le repas du soir. Il y en avait trois, de ces roulottes, et un tracteur automobile qui avait plutôt l’aspect d’une machine à broyer les cailloux des routes.

Une femme athlétique, vêtue d’une vieille jaquette à brandebourgs et dont les jambes puissantes faisaient éclater le coton d’un maillot gris perle et la molesquine des bottes lacées, surveillait une énorme marmite au-dessous de laquelle se consumait de la braise.

Balthazar, à qui une seule expérience n’avait point suffi pour savoir que les photographies ne sont pas sincères et qu’un jeune visage vieillit en trente années, alla droit à cette femme athlétique et lui dit :

— Madame Fridolin, s’il vous plaît ?

Elle leva vers lui une face blanche et ronde en forme de lune, toute couverte de poudre de riz, et qui gardait les vestiges d’une beauté joviale.

— C’est moi. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— C’est vous la dompteuse Angélique ? reprit-il, encore désappointé.

— Personnellement.

Il n’en pouvait croire ses yeux, et, dans l’espoir d’un malentendu, il montra la jeune photographie.

— Tiens ! s’exclama la femme, mais Dieu me pardonne, c’est ma binette de jadis. Où diable avez-vous cueilli cela ?

Elle prit le carton et l’examina. Puis, se mettant à rire :

— Sapristi ! Mais ça date du temps de Gourneuve !

Balthazar murmura :

— C’est en effet dans ses papiers qu’on a trouvé cette photographie.

— On a donc su que c’était moi ?

— Oui, une lettre qu’il a écrite au préfet de police.

— Et vous venez de sa part ?

— Oui.

— Ah ! dit-elle, d’un ton placide, ce pauvre Gourneuve, il a donc pensé à moi avant de mourir ?

— Oui, fit Balthazar.

— À quel propos ?…

Il n’entendit pas la fin de la question. Un des lions de l’Atlas, alléché sans doute par le fumet de la marmite, avait poussé un rugissement effroyable. Un de ses camarades riposta, puis un autre, et tous les lions de l’Atlas poursuivirent un concert assourdissant.

Angélique dut répéter :

— À quel propos vous a-t-il envoyé ?

Balthazar cria de toutes ses forces.

— À propos d’un fils… de votre fils…

— Le petit Gustave, repartit Angélique, sur le même ton strident. Pauvre gosse, il a disparu au bout de quinze mois, tout juste comme je venais de le sevrer, et deux semaines avant que Gourneuve et moi on se sépare. J’ai toujours pensé