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Elle avait réussi à ouvrir la porte du fond. Ils se trouvaient dans un boyau de couloir qui servait de cuisine et débouchait dans une cour où pullulaient des lapins et des poules. Du bœuf à l’oignon mijotait sur un fourneau. Mlle Ernestine Henrioux saisit les mains de Balthazar et bredouilla :

— Oui… adieu… j’ai été trop malheureuse, je ne peux plus… je ne peux plus… Adieu… je vous écrirai… donnez-moi votre adresse…

Elle le poussa dans la cour. Il écrasa un lapin, glissa sur des épluchures de carottes, et regagna la rue où y il arriva tout juste pour recevoir l’assistance de Coloquinte, et faire équilibre, comme elle disait, à la serviette de cuir.


Le soir, aux Danaïdes, Coloquinte soignait son maître et concluait avec un accent de sollicitude maternelle :

— Voyez-vous, monsieur Balthazar, les choses du cœur sont aussi compliquées que celles de la vie. Vous vous perdez là-dedans comme dans l’énigme des M. T. P. et dans les mystères de votre famille et de votre nom, et vous voilà de nouveau fiévreux et inquiet.

Il demanda :

— Alors, selon toi, que me faudrait-il pour être heureux et tranquille ?

C’était une question bien ardue, et elle ne savait trop que répondre. Cependant, elle dit avec gravité :

— De l’amour, monsieur Balthazar.

Il regarda la jeune fille, ou plutôt l’enfant qu’elle était encore pour lui, et se demanda pourquoi Coloquinte avait rougi. Mais des pensées plus importantes le sollicitaient.


Si compliqué que soit le cœur, il donne des ordres auxquels on doit se soumettre, et comment Balthazar, avec sa soif inapaisée de tendresse, n’eût-il pas subi l’attrait de cette photographie qu’il passait des heures à considérer ? Quelle sympathie lui inspirait la dompteuse Angélique ! Comme elle était plus aimable et plus avenante ! Rien de triste en elle ! Au contraire, de la bonne humeur, de la gaîté.

Il n’y résista pas, et ce serait le méconnaître que de supposer qu’il fût capable de partir en campagne, ce jour-là, avec des instincts moins impétueux que la première fois. Une aussi lourde affection, toute prête à s’épancher, bouillonnait en lui, et un même émoi l’agitait, lorsqu’il vit, à la foire du Trône, confor-