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sables, et auxquelles je vous demande de vous prêter.

— Comment donc ! répéta Balthazar qui souriait aussi, heureux de voir que la tempête s’éloignait de plus en plus.

Deux gorgées de porto, le procédé du double miroir, et M.  le directeur reprit :

— Tout d’abord, une question. Vous n’avez aucun papier d’identité ?

— Si, monsieur le directeur, des papiers qui attestent que je suis bien connu sous le nom de Balthazar.

— Mais aucun qui prouve que c’est là votre nom véritable ?

— Aucun.

— En ce cas, ayez l’obligeance de vouloir bien ouvrir le col de votre chemise.

Balthazar éprouva quelque surprise, mais, de même qu’avec le notaire, il n’opposa aucune objection. Il ôta son col. Le directeur fit le tour de son bureau. Les trois lettres apparurent.

— M. T. P., dit-il. C’est cela. La marque des Mastropieds.

— Comment ! protesta Balthazar, la marque ?…

— Des MasTroPieds, M. T. P., ce sont les premières lettres de chacune des trois syllabes redoutables.

— Mais, monsieur le directeur, je vous jure que ces bandits-là me sont étrangers… que je ne fais pas partie…

— Nous n’en avons jamais douté, monsieur, les trois lettres sur votre poitrine signifient tout autre chose qu’une complicité.

— Elles signifient quoi, monsieur le directeur ?

— Un fait que va nous confirmer la seconde épreuve.

M.  le directeur tira d’une boîte un tampon pour timbre humide et pria Balthazar d’y appuyer le pouce de la main gauche. En même temps, il choisissait, au milieu du dossier Balthazar, une feuille de papier jaunie, cassée par endroits, et où s’inscrivait le dessin d’une empreinte.

— La comparaison est aisée, dit-il au bout d’un instant. Regardez vous-même, monsieur… Vous aussi, mademoiselle… Je ne crois pas que nous puissions atteindre un degré de certitude plus irrécusable. Et comme les trois lettres M. T. P. ornent votre poitrine, et que ces deux empreintes sont identiques, nous avons le droit d’établir que vous êtes bien le fils de l’assassin Gourneuve.

M.  le directeur semblait fier de ses déductions, et, comme récompense, il acheva son porto et s’offrit d’un bout à l’autre le spectacle de sa raie. Quant à l’effet produit sur Balthazar, il ne songeait même pas à s’en occuper ; toute nouvelle annoncée par lui, avec sa bonne grâce cordiale, ne pouvait susciter que des impressions de plaisir et de gratitude.

Balthazar ne broncha pas. Tout au plus une légère oscillation de son buste avait-elle permis à Coloquinte de craindre qu’il ne s’effondrât sous le choc d’une telle révélation. Mais il tint bon. La philosophie quotidienne est une armature solide, qui ne vous laisse pas tomber parce qu’un petit souffle de rien du tout vous heurte à l’improviste. Et puis, quoi ! Est-il possible que l’on soit en même temps le fils de quelqu’un et le fils d’un autre homme ? Se peut-il que l’on ait à la fois comme père l’assassin et l’assassiné ?