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de plantes séchées par elle. Elle lui tâtait le pouls, lui lavait le visage à l’eau tiède, lui posait sur le front des compresses auxquelles il préférait la main fraîche et apaisante de la jeune fille, et souvent le berçait de paroles chuchotées qui prouvaient à quel point elle connaissait la nature de son maître et profitait de son enseignement.

— Dans quel état vous mettent les émotions trop fortes, monsieur Balthazar ! disait-elle d’une voix qui défaillait de tendresse, et en le regardant avec extase. Votre fièvre me désespère, et j’ai bien envie de pleurer. Soyez calme, je vous en supplie. Contrôlez les élans de votre cœur. Il faut attacher le moins d’importance possible aux buts que l’on poursuit, afin que la réussite ou l’insuccès ne vous ébranlent pas trop profondément.

Elle employait les expressions du professeur, et il semblait à Balthazar que c’était lui-même qui se donnait des conseils et dessinait les limites au-delà desquelles il n’y a qu’aventures et dangers pour les impressionnables de son espèce.

— Tu as raison, disait-il, tout en examinant avec elle le gracieux visage d’Ernestine Henrioux.

Du portefeuille et des titres, pas un mot. Ils n’y songeaient point, et n’avaient même pas la curiosité d’en établir le compte exact. Une fois remisé dans les profondeurs de la serviette, derrière les brosses et les boîtes de cirage, cela ne représentait plus pour Balthazar que la principale des conditions imposées par M. Charles Rondot. Le jour où l’on se reverrait, de quel poids pèserait un tel argument !

— Mais croyez-vous que Mlle Yolande vous rendra heureux ? disait Coloquinte en tremblant. Saura-t-elle ranger vos affaires, vous préparer votre café, et vous protéger contre un tas de petits tracas qui vous agacent et vous troublent ? Je souffrirais à en mourir si elle n’était pas digne de vous.

Les termes dont elle usait n’allaient pas au-delà de ses sentiments profonds. Mais tout semblait naturel à Balthazar de ce que Coloquinte pouvait lui offrir. Au juste, il n’y prêtait pas attention.

— Yolande est digne de moi, affirma-t-il naïvement. C’est une noble créature, comme on en voit dans les pièces de théâtre.

Un matin, il reçut de Mlle Rondot ce message téléphonique :

« Venez sans perdre une minute. Je serai dans mon boudoir. Votre fiancée. »

Il montra le message. Coloquinte ne dit pas un mot et tira du papier de soie qui l’enveloppait la redingote de cérémonie. Le haut-de-forme fut extrait de son carton, ainsi que le gant jaune beurre.

Trois fois elle rajusta la cravate blanche de Balthazar, puis elle le contempla des pieds à la tête. Un jeune dieu de la mythologie ne lui eût pas semblé plus beau ni plus élégant de tournure. Comment Mlle Yolande ne l’eût-elle pas aimé !

Ils s’en allèrent. Au square des Batignolles, il installa Coloquinte et sa serviette sur un banc.

— Reste ici. Je suppose bien que Yolande a remporté la victoire, puisqu’elle s’intitule ma fiancée. Mais, tout de même, je ne peux pas arriver avec l’argent. Je viendrai le chercher.