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ses frondaisons toutes neuves qui luisaient au soleil. Des souffles tièdes couraient sur la campagne et enveloppaient Balthazar de bien-être et de joie. Il marchait allégrement, soutenu par une conscience sereine. L’expédition lui semblait inoffensive autant que celle d’un pêcheur à ligne qui connaît un creux où foisonnent les goujons. Coloquinte se sentait si heureuse que le poids de sa serviette ne la déformait pas.

— Je ne cesserai de te le répéter, Coloquinte, la vie est composée de petits faits insignifiants. C’est comme une tapisserie, qui forme, n’est-ce pas ? de grandes scènes très compliquées, et qui n’est au fond qu’un assemblage de petits bouts de laine noués au canevas le plus monotone.

Non loin d’eux se déployait l’éventail d’un carrefour. Ils virent déboucher d’une des routes un individu coiffé d’un béret basque, et qui sauta de sa bicyclette. Il regarda autour de lui, ne les aperçut point, et se courba quelques secondes au-dessus d’une borne kilométrique. Puis il repartit et descendit de nouveau pour entrer dans une auberge située à la lisière même de la forêt.

En traversant le carrefour, ils examinèrent la borne. Une inscription à la craie, avec une flèche marquant la direction prise par l’individu, offrait ces trois lettres majuscules : « M. T. P. »

— Ah ! murmura Coloquinte… M. T. P. ! les trois lettres inscrites sur votre poitrine, monsieur Balthazar.

Il prit un air détaché.

— Tiens, oui, en effet !… Drôle de corrélation !

Vraiment il n’y avait pas là, de quoi s’ébahir. Un promeneur se divertit à tracer sur une borne trois lettres dont on a la poitrine tatoué… Détail insignifiant… Petit bout de laine de tapisserie…

Et il continua d’avancer d’un pas guilleret en fauchant avec sa canne des têtes de pissenlit et de moutarde sauvage.

Ils passèrent devant l’auberge où ils revirent, par une fenêtre ouverte, l’homme assis et qui buvait une consommation.

— Peut-être, nota Coloquinte, est-ce le même motif que nous qui l’attire. Il a donné rendez-vous à un camarade, et ils vont chercher le trésor.

Balthazar déplia le plan topographique établi par son père. En vingt minutes, ils arrivèrent au rond-point « dont un orme touffu occupe le centre ».

Selon les instructions qui accompagnaient le plan, ils marchèrent à reculons, en suivant une certaine ligne. Balthazar, les mains sur les épaules de Coloquinte, l’entraînait avec la gravité croissante d’un monsieur qui poursuit une expérience de suggestion à l’état de veille. Des racines et des souches les faisaient trébucher. Deux fois ils tombèrent. Et soudain, Balthazar qui, pour rien au monde, n’eût consenti à tourner la tête, heurta du dos le tronc d’un arbre.

— Parfait, dit-il ému. Le programme s’exécute.

Ils pivotèrent sur eux-mêmes comme des automates et filèrent à droite. Quatre cents pas plus loin, il devait y avoir un chêne creux, protégé par une plaque de zinc sous laquelle le trésor était caché.

Ils comptèrent quatre cents pas. Il n’y avait point de chêne.