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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

la Vaudraye s’exprimait en phrases prétentieuses dont sa bouche moulait toutes les syllabes avec soin, une à une, comme des choses de prix que l’on doit porter à leur plus haut degré de perfection.

« Vous n’êtes pas sans être frappée, madame, votre attitude m’en est un sûr garant, du parfait état où se trouve ma propriété, dit-elle à Gilberte. Boiseries, glaces, rideaux, meubles, tout semble dater d’hier. Et pourtant ! Demeure historique s’il en fût, le Logis… »

Gilberte n’écoutait plus. « Madame » lui avait-on dit. Il était donc naturel qu’on l’appelât ainsi ? Elle pouvait donc passer pour mariée, malgré son âge ? Cela l’étonnait. Mais aussi, pensa-t-elle, peut-on supposer qu’une jeune fille se présente seule pour louer et habiter seule ce manoir ?

Elle se souvint d’un conseil du notaire. « Si vous tenez à être tranquille, pas un mot du passé avant que nous n’ayons fait pleine lumière. »

Soit, mais combien il lui serait plus facile de voiler ce passé sous le nom de « madame » ! Et comme elle serait mieux protégée par cette désignation ! Demoiselle et vivant à l’écart, elle devenait l’objet de toutes les curiosités, la proie de tous les racontars. Dame, elle était dans une situation normale, son existence solitaire ne surprendrait personne, elle pourrait fuir les importuns, aller et venir à sa guise, s’enfermer et pleurer sans qu’on épiât le secret de ses larmes.

« À quel nom mettrai-je le bail ? demanda madame de la Vaudraye, quand tout fut conclu — et conclu au plus grand profit de la propriétaire qui majora son prix de moitié.