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LE BON RIRE

Catherine hésita longtemps avant de se poster sur le parcours. Sa présence serait-elle pour son mari une cause de chance ou de guigne ? Hésitation absurde, puisque le dénouement était connu d’avance. Un seul devoir importait : être là quand son mari aurait besoin de ses soins, le tenir dans ses bras, étancher son sang, adoucir ses derniers moments…

Le circuit comptait plus de cent trente kilomètres. Mais un pressentiment lui ordonna de se tenir au virage d’Arbur, à ce terrible tournant en descente qui précède la ligne de l’arrivée. C’était inévitablement en cet endroit que l’accident aurait lieu.

Il n’eut pas lieu au premier tour. Son mari, maître déjà de cinq de ses concurrents, vira le huitième, et sans le moindre accroc.

Au second tour, Victor avait encore gagné deux places, et le doute n’était pas possible : son temps était de beaucoup le meilleur, la course lui appartenait.

Une troisième fois elle le vit, ou plutôt elle le devina, car malgré toutes les précautions, de la poussière surgissait du sol ou se détachait des talus voisins. Le virage fut exécuté à une allure vertigineuse. Il était loin déjà quand elle eut conscience qu’il n’y avait plus de danger.

Et des minutes interminables s’écoulèrent, trente, quarante, soixante. Catherine ne vivait plus. Il lui semblait que son existence était suspendue et que son